Drweski, spécialiste du monde arabe et de l’Europe orientale, est un auteur marxiste dont les thèses (en géopolitique) et les fréquentations l’amènent souvent hors des sentiers battus. Dans ce petit essai sur la Russie contemporaine, il postule un retour des grandes questions idéologiques dans les antagonismes internationaux et explique que l’axe principal des contradictions mondiales se situe à présent sur le Pacifique, dans l’antagonisme opposant les Etats-Unis et la Chine. Cette dernière est en train de faire de la Russie son bouclier et son glaive. « La Chine a intérêt à ce que la Russie apparaisse plus forte qu’elle n’est réellement alors qu’elle a de son côté intérêt à apparaître plus faible qu’elle ne l’est réellement, ou au minimum moins visible. » Avant-hier Troisième Rome, hier patrie du prolétariat, aujourd’hui promotrice des valeurs traditionnelles, la Russie de Poutine n’a pas encore recouvré son statut de grande puissance et vit un stade de développement hybride et transitoire, qu’il convient d’analyser comme un système en soi.
Si le christianisme du temps des tsars et le marxisme ont, par leur origine, orienté la Russie d’hier vers l’Europe, il n’en va plus de même aujourd’hui où elle tend dans ses relations à dériver vers l’Asie orientale et méridionale et où elle prête de plus en plus l’oreille aux thèses « eurasianistes ». Drweski relève que le pouvoir russe entretient à l’étranger des rapports privilégiés à la fois avec les milieux conservateurs et traditionalistes et à la fois avec les milieux de la gauche progressiste (notamment via les relations du Parti communiste de la Fédération de Russie, qui sert dans une certaine mesure de courroie de transmission au Kremlin). « Même dans le parti Russie Unie en principe classé au centre-droit, des personnes se réfèrent ouvertement au marxisme-léninisme. »
La crise à venir, annoncée par le conflit ukrainien (que Drweski interprète comme une rétorsion des Américains suite à leurs difficultés en Syrie dans leur lutte contre un régime soutenu par Moscou), concernera vraisemblablement le rôle des Russes dans la recherche d’un pôle de stabilité au Moyen-Orient. Anti-sioniste engagé, Drweski consacre quelques pages très denses aux relations complexes entre la Russie et Israël et à l’histoire de la diaspora russe dans ce pays. Craignant que les lobbys pro-israéliens encouragent le choc des civilisations à l’Est en s’appuyant sur le conflit tchétchène (pour mieux entraver tout rapprochement entre la Russie et les pays musulmans), l’auteur termine en expliquant comment le régime poutinien a réussi à domestiquer une certaine bourgeoisie nationale au service de ses intérêts souverains.