"Y'a longtemps qu'le monde a commencé"

Dernière comédie "carnavalesque" de Shakespeare, dans la lignée du Songe d'une nuit d'été, du Marchand de Venise ou encore de Comme il vous plaira. Dernière comédie des illusions et des farces, vénération païenne des fêtes de mai ou d'hiver, où le monde social est sens dessus dessous. Les femmes, souvent écartées, se déguisent dès lors en hommes, les fats et les amoureux sont raillés, les bouffons, plus libres que jamais, font tourner leurs maitres en bourrique à coups de jeux de mots et mots d'esprit qui carottent la vérité à chacun.


La Nuit des Rois est le festival final et agit comme tel, en servant au lecteur/spectateur un paroxysme de quiproquos et de torsions sémantiques. Les habitués de l'auteur connaissent la formule et ne s'étonneront jamais des péripéties narrées mais jamais non plus ne s'ennuieront. C'est pétillant, subversif, et la langue, bien sûr, est d'une générosité jamais démentie.


Comme il se doit sur une scène élisabéthaine, le chaos n'est qu'une épreuve conduisant à l'ordre, le paganisme une phase qui prépare au monothéisme. Le mariage sera valorisé, érigé en idéal, mais, comme une écharde dans le doigt, le puritain abusé jurera vengeance. Si Olivia est le reflet de Viola qui est l'alias de Césario qui est lui-même le double de Sébastien qui finalement tombera sous le charme d'Olivia, n'est-on pas en droit d'attendre de la pièce une sorte de promesse de circularité, de mariages chamboulés qui renverseront encore une fois les conventions et les identités ? On évite peut-être de justesse le happy-end, comme le suggérera avec plus de force la comédie suivante Tout est bien qui finit bien, quitte à mettre le doute sur la sincérité de son titre.


Point de consistance rassérénante dans ces charivaris shakespeariens. Les personnages de ces comédies n'échappent au suicide de la tragédie que parce que, contrairement à Hamlet, ils se reconnaissent finalement acteurs, jouant leurs propres émotions, alors que le Prince de Danemark lui, finissait par croire trop avidement à sa propre bouffonnerie et s'y laissait fatalement piéger. Peut-être est-ce le seul message à entendre à chaque fois que Shakespeare brise le quatrième mur pour s'adresser à des spectateurs conscients, à force de rappels, que le théâtre est reflet du monde.



Y'a longtemps qu'le monde a commencé

Dans le vent, ohé ! dans la pluie,
C'est égal, la pièce est terminée

Puissions-nous vous plaire tous les jours.


Créée

le 18 févr. 2018

Critique lue 321 fois

3 j'aime

2 commentaires

Amrit

Écrit par

Critique lue 321 fois

3
2

D'autres avis sur La Nuit des rois

La Nuit des rois
Amrit
7

"Y'a longtemps qu'le monde a commencé"

Dernière comédie "carnavalesque" de Shakespeare, dans la lignée du Songe d'une nuit d'été, du Marchand de Venise ou encore de Comme il vous plaira. Dernière comédie des illusions et des farces,...

le 18 févr. 2018

3 j'aime

2

La Nuit des rois
mavhoc
4

Découverte de Shakespeare - Acte IV

Quatrième œuvre de Shakespeare que je dévore d'un coup, comme pour les 3 précédentes ( Macbeth, Richard III, Hamlet), je me vois obliger de rappeler le principe. Néophyte total dans l’œuvre du...

le 2 avr. 2015

2 j'aime

La Nuit des rois
fleurblanche
8

Poor lady , she were better love a dream.Disguise , I see thou art a wickedness

Cette comedie, oui c'est certainement une comedie est concue pour le temps de plaisir. Le plaisir est celui qui guide l'esprit de la cour. Il est concu pour elle et par elle. La nuit des rois,...

le 9 oct. 2015

1 j'aime

Du même critique

Lost : Les Disparus
Amrit
10

Elégie aux disparus

Lost est doublement une histoire de foi. Tout d'abord, il s'agit du sens même de la série: une pelletée de personnages aux caractères et aux buts très différents se retrouvent à affronter des...

le 8 août 2012

234 j'aime

77

Batman: The Dark Knight Returns
Amrit
9

Et tous comprirent qu'il était éternel...

1986. Encombré dans ses multivers incompréhensibles de l'Age de Bronze des comics, l'éditeur DC décide de relancer la chronologie de ses super-héros via un gigantesque reboot qui annonce l'ère...

le 3 juil. 2012

98 j'aime

20

The End of Evangelion
Amrit
8

Vanité des vanités...

Après la fin de la série, si intimiste et délicate, il nous fallait ça: un hurlement de pure folie. La symphonie s'est faite requiem, il est temps de dire adieu et de voir la pyramide d'Evangelion,...

le 21 juil. 2011

95 j'aime

5