Et quand je te serre entre mes doigts... KRAKI-KRAC KRAKI-KRAC

Il y a quelques années, je répondis à un ami qui me questionnait sur mes lectures que j'aimais beaucoup l'ami Serge Brussolo. A ce nom, il vacilla. "Brussolo, c'est le mec qui a écrit La Nuit du Bombardier... - s’étouffa-t-il - Je l'ai découvert avec ce livre, et il m'a traumatisé pour le restant de mes jours". Il n'en fallut pas plus pour me donner immédiatement envie. Ni une ni deux, je courus l'emprunter au CDI (c'était il y a quelques années je vous dis) qui par un heureux hasard l'avait dans ses rayons.

Et malgré son avertissement, malgré mon habitude de la folie Brussolienne, rien ne m'avait préparé à la claque qui m'attendait. J'ai vécu ce livre comme un choc, un coup de poing me frappant un peu plus à chaque page que je tournais. Plus l'on progresse, plus la nuit nous enveloppe, plus elle se fait noire, plus elle est malsaine. La nuit du bombardier est une histoire horrifique à la fois ancrée dans le réel et enveloppée d'un voile surnaturel.

L'histoire n'est pas aisée à résumer. Et d'ailleurs, il ne vaut mieux pas la résumer, puisqu'il y a tellement de surprises que ce serait la gâcher entièrement. C'est l'histoire de David Sarella, un jeune garçon traumatisé qui sera envoyé au pensionnat d'une ville de bord de mer. Une ville autrefois touristique qui s'est éteinte lorsqu'un bombardier s'est crashé sur une fête foraine il y a de cela quarante ans, massacrant les touristes par dizaines. Le pensionnat est soumis a des règles très strictes, et les élèves ne peuvent communiquer entre eux que s'ils font parti d'un "club". David devra donc participer à d'étranges épreuves pour se faire intégrer...
C'est tellement frustrant de ne pas en dire plus. Brussolo use de nombreuses fausses pistes pour orienter son récit. Pendant toute une longue partie du livre, on se demande où il nous emmène et quel est véritablement le fil directeur de son histoire. On part sur des événements, et puis sur d'autres, et finalement tout se recoupera et offrira sa pertinence dans l'aventure. Tout ce que l'on sait, nous pauvres lecteurs, c'est qu'un mystère plane autour de cette fameuse nuit, la nuit du bombardier.

S'il est un thème récurrent dans ce roman, c'est bien celui du traumatisme. L'histoire commence par les souvenirs du traumatisme du jeune David, qui a assisté au viol de sa mère... (mais dis donc, il est joyeux ce bouquin). Notre jeune héros ne cessera de revivre le viol dans sa tête, et se focalisera sur ces terribles détails qui lui sont associés et qu'il ne peut oublier, comme cette terrible odeur de parking. David a donc un syndrome de stress post-traumatique et, cliniquement, c'est très crédible dans son déroulement.
Mais David est loin d'être le seul traumatisé du récit. Sa mère, pour commencer, sera traumatisée au point de chercher à se coudre le sexe (tout va bien) et sera internée. David rencontrera le club des survivants, un groupe d'adolescents ayant tous assistés à des événements dramatiques, comme le meurtre du père de l'un d'eux... Mais plus que tout, c'est sur la ville que plane ce doux parfum de traumatisme et d'horreur. Les habitants, quels qu'ils soient, ont tous été profondément marqué par la meurtrière nuit du bombardier. Les rescapés en portent des marques physiques, mais aussi psychologiques puisque jamais personne n'a su s'en remettre. Les élèves, ceux qui n'étaient pas nés lors de la catastrophe, vivent avec le spectre de ce massacre qui pèse sur la ville. La ville est traumatisée et ainsi le sont tous les habitants. Personne ne peut l'oublier. C'était il y a plus de quarante ans, et pourtant elle est encore présente chaque jour. Et chaque jour, on cherche à savoir ce qui s'est réellement passé, et les théories s'envolent... On parle de kamikazes japonais, de complots nucléaires, des idées qui témoignent d'un monde traumatisé par la seconde guerre mondiale et la menace du nucléaire de la guerre froide.

Dans cette ambiance mortuaire et glauque, ce que je trouve intéressant ce sont les différentes façons dont se manifestent ces traumatismes sur les personnages. La réminiscence, l'obsession, la folie qui gagne du terrain, la volonté de devenir plus fort, d'affronter... C'est ce qui rend tous ces personnages vraiment fascinants à mes yeux.
David, lui, laisse vagabonder son imagination, déforme ce qu'il voit, imagine des tas d'horreurs. Autrefois, il le faisait avec sa mère, mais avec humour, ils s'amusaient à imaginer des choses surnaturelles pour déformer la réalité. Mais à présent que la violence de la vie s'est abattu sur la sienne, son imagination est devenue noire, folle (Brussolienne?). Dans sa contemplation du monde qu'il entoure, David (éternel avatar de son auteur) deviendra auteur lui-même et inventera des histoires, des descriptions fantaisistes. Ainsi, le collège sortant de la brume deviendra l'espace de quelques paragraphes un gigantesque cargo échoué, rempli de poissons morts dont l'odeur se propage sur la ville. Les buissons d'épines qui parsèment le paysage deviendront amoncellements de squelettes de porc-épics, cimetière légendaire qui une fois emporté par le vent vient crever les pneus des voitures, qui peut lui déchirer les jambes et lui lacérer le visage à tout moment.

Oui, l'imagination de notre héros est fantasque et macabre. Et des descriptions du genre, il y en a des centaines dans le roman. C'est d'ailleurs ce que je préfère chez lui. David nous emmène dans son imaginaire malsain, on se surprend à déformer avec lui, à avoir peur avec lui, à frissonner en lisant ces visions d'horreur. Mais là où le livre deviendra vite très intéressant, c'est qu'on finira par avoir du mal à discerner les différences entre l'imagination de David et les événements qui se déroulent réellement. On s'habitue à ne plus croire à ses métaphores, à un tel point qu'au bout d'un moment on se demande si ces aventures sont bien réelles, si elles n'existent pas que dans son imaginaire.
Ce doute qui parsème la lecture ajoute un côté fantastique au récit, au sens littéraire du terme. C'est à dire qu'on a du mal à faire la différence entre le réel et le surnaturel.

A travers David, Brussolo se laisse aller à son propre imaginaire, nous abreuvant de comparaisons malsaines et de descriptions horrifiques. Plus le livre avancera, plus les visions d'horreurs se démultiplieront, au point d'arriver au choc dont je parlais en ce début de critique. En lisant ce livre, j'ai imaginé des choses tellement improbables, malsaines et horribles, qu'elles se sont gravés dans mon esprit. Et je comprends vraiment au combien mon ami ayant découvert Brussolo avec ce roman a du être traumatisé, lui aussi.
Ce livre m'a vraiment marqué. Son intensité m'a emporté, ses descriptions fasciné en même temps qu'horrifié. A chaque fois que je vais dans un parking, je repense à l'odeur, et ça me rappelle les douloureux souvenirs de David.

Pour cette raison, je voulais absolument relire ce livre à présent, le vivre une nouvelle fois. Malheureusement, j'aurais du m'abstenir car la seconde lecture est bien moins efficace. Quand on connait le fin mot de l'histoire, on s'attache bien plus aux détails, et j'ai à présent pas mal de reproches à adresser à ce roman.
Pour commencer, je trouve que certains passages de révélations sont plutôt ridicules, les dialogues ne paraissent pas crédibles, presque expédiés, c'est tellement super dommage. Les personnages sont parfois beaucoup trop clairvoyant sur la situation qui leur arrive, alors que bordel c'est complètement abusé. Seul David et Shincton-Wave ont des comportements crédibles, certains personnages m'ont paru un peu raté.
De plus, certaines scènes qui auraient pu être vraiment excellentes sont traitées beaucoup trop rapidement, ce qui m'a énormément frustré.
Pour finir, je me souvenais tellement bien de toutes les scènes malsaines du livre que je n'en ai redécouverte aucune, et du coup j'ai presque trouvé le livre soft à cette seconde lecture. Ma lecture n'était plus hallucinée mais passive, même si elle m'a beaucoup plu. Il y a des livres qui ne se lisent qu'une fois, peut-être ? Ou suis-je à présent trop grand, plus assez innocent pour laisser Brussolo me foutre des mandales si facilement ?

Il n'empêche que cette nuit cauchemardesque est un souvenir trop profondément ancré dans mon histoire de lecteur. Même si je baisse ma note d'un point pour que ça colle avec mon ressenti actuel, je n'oublierai jamais le culte que je lui ai voué pendant des années avec une note presque maximale.
La nuit du bombardier est un thriller horrifique de haute volée, qui nous plonge dans un monde et un imaginaire particulièrement effrayant aux visions chocs. Les différentes étapes du récit, à part celles des révélations (passionnantes en elles-même, mais très mal racontées), sont toutes excellentes et on se laisse vite absorber. Les cent dernières pages se lisent à toute allure, nous aspirent, elles sont excellentes, le suspense et l'horreur y sont à leur paroxysme. L'aventure de David est aussi passionnante qu'improbable, et se laisser dériver dans cet imaginaire est toujours un immense plaisir.
Même si cette seconde lecture s'accompagne d'une pointe de déception due à un auto-hype ces quelques dernières années, je continuerai de le recommander car ça reste de loin un roman à part. Une nuit sombre, tumultueuse, cauchemardesque, dont on se réveille en sueur. Presque rassuré de bien être dans le monde réel en refermant les pages.

Tu es mon sandwich de pain blanc, et quand je te serre entre mes doigts...
KRAKI-KRAC
KRAKI-KRAC
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le 29 mai 2014

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