La Parabole du semeur est un récit terrifiant, glaçant.
Californie, 2024.
Les Etats-Unis ont sombré dans le chaos. Si par malheur vous vous trouvez seul à errer dans les rues, vos chances de survie sont quasi nulles. L'eau se fait rare, il faut dépenser des sommes folles pour en obtenir. Idem pour se nourrir ou pour se vêtir. Et au cœur de ce désastre, des gangs sillonnent les rues, détroussant les plus faibles, exerçant quotidiennement une violence sans limite.
Dans ce contexte subsistent quelques communautés retranchées derrière des murs de protection. C'est dans l'une d'elle que vit Lauren, fille d'un pasteur noir, dont le journal intime constitue la matière même du roman d'Octavia Butler.
Chaque jour elle relate les évènements qui affectent sa vie et celle de sa communauté, dont elle pressent avec acuité l'inévitable chute. C'est que Lauren n'est pas une jeune fille ordinaire. Elle sent si fort les choses qu'elle en souffre dans son propre corps. Dans ce contexte de violence, cette haute empathie est une faiblesse. S'il faut abattre l'homme qui vous attaque, vous ressentirez dans votre chair le coup que vous lui porterez. Comme lui, vous serez à l'agonie, une proie facile si personne ne peut vous défendre.
Mais on comprend bien que cette qualité propre à l'héroïne du roman est aussi sa force, celle par laquelle elle voit venir la mort des siens, s'y préparant alors sans affolement. Car les murs tomberont, abattus par des pyromanes drogués, et Lauren n'aura plus qu'à prendre la fuite, armée et chargée de son seul sac de survie.
Si le roman commence lentement, le récit épousant le développement pas à pas du journal intime, il gagne en intensité lorsque Lauren se retrouve séparée de sa communauté. Le contexte de violence fait l'objet d'une description et d'un réalisme glaçants. Le lecteur est avec l'héroïne dans la rue, éprouvant le même état d'alerte et de vigilance, le même frisson d'horreur au bruit des salves qui résonnent dans la nuit.
Toutefois, l'intérêt du roman ne se réduit pas aux seules images crues de la violence ni au seul suspens auquel le lecteur est tenu. Il réside surtout dans ce que l'héroïne propose d'éthique de vie dans un monde en état de déliquescence. Contrairement à son père, Lauren ne croit plus au retour providentiel du "monde d'hier", ce même monde qui, précisément, les a menés au désastre. Non, ce qu'elle appelle de ses vœux, ce sont de nouvelles formes de vie, d'être et de coexistence qui tiennent compte de ce qui a échoué, de ce qui est neuf, et du principe fondamental du changement, autour duquel elle développe toute une parabole, toute une pensée religieuse.
Puisqu'il ne s'agit plus ni de vivre ni de penser comme avant, Lauren rédige son Livre des vivants, dont les extraits parsèment son journal intime et qu'elle finit par enseigner à ceux qui l'accompagnent sur la route du nord.
Avec la Parabole du semeur, Octavia Butler n'interroge pas seulement les conditions de survie dans un monde en ruine (comment se battre, comment se cacher, comment trouver de la nourriture), mais les nouvelles conditions de vie rendues nécessaires après la catastrophe, fondées sur la communauté et sur l'ouverture à ce qui fait irruption dans le cours de la vie.