En 2006, paraît en France aux éditions Alia un ouvrage de l'historien étasunien Mike Davis, Au-delà de Blade Runner : Los Angeles et l'imagination du désastre. Ce court ouvrage reprend en fait un seul chapitre d'un précédent livre de l'auteur publié au milieu des années 90 (City of Quartz : Los Angeles, capitale du futur), rédigé après les émeutes provoquées par l'acquittement de policiers blancs accusés d'avoir passé à tabac un jeune africain-américain, Rodney King. Mike Davis y décrit alors avec précision la géographie de cette ville tentaculaire, ainsi que la sociologie de ses quartiers, en n'hésitant jamais à convoquer des références cinématographiques (Blade Runner de Ridley Scott) et littéraires (Octavia Butler).
Écrit en 1993, La Parabole du semeur commence en 2024 dans une petite ville fictive près de Los Angeles, Robledo, et prend la forme d'un journal de bord tenu par Lauren, une fille de pasteur baptiste. Celle-ci y fait alors la description par le menu de son environnement.
La ville s'est auto-organisée en quartiers, les habitants se sont retranchés derrière des murs pour se protéger des pillards et des mendiants. Les services publics sont devenus payants : au moindre incendie comme au moindre crime, les habitants préfèrent majoritairement résoudre eux-mêmes le problème par manque d'argent. Les feux sont fréquents et facilités par la sécheresse (il n'a pas plu depuis des années), et même parfois déclenchés sous l'effet d'une drogue qui rend pyromane celui ou celle qui en consomme. Le climat est à la violence sociale et aux crimes d'une large frange de la population sans travail, délaissée par une classe politique qui voudrait rétablir une forme d'esclavagisme moderne. Le président élu promeut la destruction des aides sociales pour les plus démunis et la "simplification" du droit de travail pour permettre aux entreprises d’embaucher dans des conditions de précarité extrême leurs employés (comme leur salaire est insuffisant, ils s'endettent et tombent sous la coupe directe de leurs employeurs).
Lauren est également dotée d'une sorte de pouvoir, l'hyper-empathie. Elle ressent de façon aigüe en effet la souffrance des gens comme celle des chiens abattus après être retournés à l'état sauvage. Lauren a surtout depuis son plus jeune âge une vision du monde radicalement différente de son père religieux. Elle développe alors un nouveau concept du Divin avec, au centre, une notion importante, celle de changement. Lauren sent bien que l'équilibre précaire du monde pourrait s'effondrer du jour au lendemain, irrépressiblement et elle s'y prépare, autant mentalement que physiquement. Ce jour va arriver plus tôt que prévu...
Ce roman, le premier volume d'un diptyque, a été écrit alors que le climat de l'époque était délétère, saturé par le supplice de Rodney King. La vie à Robledo est éprouvante et y survivre exige un contrôle de chaque instant. Au milieu du maelstrom, Lauren trouve dans un courant de pensée tramé depuis son plus jeune âge une manière neuve d'être et d'agir qui redonnerait à la communauté un grand élan libérateur. Si la Terre est au cœur du système, pourquoi ne pas viser plus loin, les étoiles peut-être ?
Par cette démarche originale, Octavia Butler fait sa grande entrée dans un courant de la science-fiction qui a également traversé d'autres arts comme la musique : l'afro-futurisme, si bien décrit dans le livre de Frédéric Neyrat, L'Ange Noir de l'Histoire. Avec l'afro-futurisme, la condition noire permet d'affronter les catastrophes à venir depuis un passé qui les aura déjà vues arriver.