S'il fallait caractériser ce roman écrit à la première personne, on pourrait dire que c'est un roman d'amour antifasciste.
1934 : le narrateur, un écrivain, qui finit ses nuits tumultueuses au calme dans un bar de Montmartre, le Sans-Souci, voit passer une femme inconnue en fin de nuit, tous les jours. Une femme sans chapeau mais avec un manteau, en zibeline, trop riche. Elle le fascine et un jour qu'il la suit sous la pluie, malade, il est victime d'un étourdissement dont la femme s'aperçoit. En lui portant secours, il s'aperçoit que la femme a un accent étranger. Elle le raccompagne chez lui mais en repart très vite en répétant : "il m'attend, il m'attend".
Et voilà le roman qui est lancé.
Découvrant son nom, Elsa Wiener, et ce qu'elle fait, par hasard, le narrateur ose aller la voir, pour la remercier, dans son hôtel et découvre Max, un petit garçon de 12 ans, estropié, qui protège le sommeil d'Elsa : "non, Max n'est pas mon fils" dira-t-elle. "Nous nous sommes choisis", dira-t-il.
Plus loin, une amitié profonde liera le narrateur à Max qui ne veut plus que parler français et qui compte sur le narrateur ainsi que d'autres pour se perfectionner et perdre son accent. "Je veux oublier l'allemand, cette langue, ces gens, ces assassins."
Peu à peu, le narrateur découvre l'infinie détresse de cette belle femme dont le mari, Michel, n'a pas pu partir d'Allemagne pour la rejoindre. Désormais, il est dans un camp de concentration et le restaurant parisien où Elsa chantait et qui lui permettait de vivre la tête hors de l'eau va fermer.


Il y a dans le roman ce couple auteur – narrateur qui oriente le livre vers un avenir sombre qu'il pressent. En effet, dès 1933, Kessel a attiré l'attention sur les atrocités qui se produisent en Allemagne en toute discrétion. Mais il y aussi un autre couple d'auteurs, c'est le narrateur et Max. Ce couple évoluera tout le temps du roman et le narrateur jouera un rôle de Mentor pour lui passer le relais à la fin. "Je crois qu'il aura du talent" sont les derniers mots du roman.


Et il y a dans ce roman de multiples portraits terribles d'Elsa de la période "heureuse" de départ quand il y a toutes les raisons d'espérer à toutes les étapes de déchéance où le physique et surtout le mental auront du mal à suivre. On ne peut s'empêcher de penser lors de la lecture du roman, à toutes ces héroïnes de roman qui ont vécu cette dégringolade pour des raisons diverses, de Nana (Zola) à Anna Karenine (Tolstoï) en passant par Sonia (Dostoïevski).


Lorsqu'à la suite d'une infecte et odieuse tractation où elle accepte de vaincre sa répugnance et de payer de sa personne, elle retrouvera un jour Michel, ce sera tellement trop tard, dramatiquement trop tard. Il n'y a pas de retour à la case départ.


Comme l'écrira aussi à la même époque dans plusieurs romans, l'exilé allemand Erich-Maria Remarque, la tyrannie en Allemagne a provoqué l'exil de beaucoup de gens pas forcément nantis ou qui ont tout perdu, engendrant de nombreux drames humains. Kessel se pose ici, en témoin d'une catastrophe prévisible mais qui n'aura pas vraiment éveillé la conscience de ses contemporains.
La passante du Sans-Souci c'est avant tout un drame humain mais c'est aussi la grandeur d'âme d'un enfant qui va survivre.

JeanG55
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le 31 mars 2021

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