Ah, Kessel... Depuis Le Lion, véritable révélation, je ne le lâche plus mon Kessel. Et qu'est-ce qu'il écrit bien, mon Kessel. Qu'est-ce que c'est beau, qu'est-ce que c'est simple et pourtant tellement précis, tellement riche, tellement intelligent. Intelligent dans le sens où Kessel laisse toujours l'imagination du lecteur butiner de page en page, mais sans toutefois lui laisser une liberté totale. Il cadre toujours son récit, les émotions de ses personnages, leurs désillusions, juste assez pour nous plonger dans un univers à chaque fois. Sa plume est sensationnelle, du style à la justesse de ses esprits défectueux ; il parle d'ailleurs aussi bien des hommes, des femmes que des animaux. Un univers où les liens entre les êtres vivants sont les moments les plus importants d'une vie. Un univers où les différences tantôt rassemblent, tantôt détruisent. Un univers où on meurt, souvent, d'avoir trop aimé l'amour. Un univers que j'apprends à chérir, et qui fait aimer la littérature.
La Passante du Sans-Souci nous narre l'histoire d'un homme (le narrateur) qui observe très souvent le passage d'une femme énigmatique devant le Sans-Souci. Un nom étrange, qui se révélera très ironique. Au fil du temps, il fait la rencontre de cette femme qui va bouleverser sa vie, et inversement. Elle cache dans son appartement un jeune juif infirme, blessé par les nazis, et attend désespérément le retour de son mari Michel, retenu dans les camps. Quand elle apprend qu'il a besoin d'argent pour ne pas disparaître, elle est prête à tout pour lui. Elle affrontera la mort. La mort psychique.
Ecrit en 1936, bien avant sa fameuse Belle de Jour (dont les similitudes mais aussi les immenses différences sont flagrantes, superbe antagonisme), La Passante du Sans-Souci est, comme toujours avec Kessel, un roman sans cadeaux et sans concession, où les plus belles vertus humaines côtoient les bassesses extrêmes de la vie. Quand la fierté s'envole, il reste l'amour. Quand l'amour s'enfuit, que faire de nos sacrifices ? Un récit passionnant qui ne traite pas seulement du jusqu’au-boutisme amoureux, mais aussi des prémices de cette guerre qui ravagera bien des espoirs et projets.