Quel terreau foisonnant que le cerveau de Steinbeck ! Son art littéraire donne naissance à des plantes toujours différentes, parfois douces et colorées comme des hortensias, piquantes comme des cactus, serpentines comme de la vigne vierge, majestueuses comme de beaux ormes. La nature riche de sève ou sèche comme du chiendent est comme un écrin indifférent aux histoires humaines, et celles qu'il raconte s'en inspirent toujours, comme nourries de cette source inaltérable d'énergie vitale.
Pour La perle, John se fait conteur, mais il ne tombe pas dans le piège de la fausse naïveté, il s'invente un style à la fois coupant comme le couteau de Kino le héros, et rond, inattaquable comme la perle géante qu'il découvre au sein des flots. Cette histoire de pauvreté et de mort a beau être très courte, elle est en même temps gonflée comme une orbe monstrueuse, de l'intérieure, prête à craquer. Tellement naturaliste qu'elle devient légendaire, on dirait un chant crépusculaire, sans âge, et c'est tout naturellement que Steinbeck traite son sujet en musicien : le sens s'estompe pour laisser la place aux sensations, à tout se qui se tapit derrière les fragiles mots humains.
On sort de ce récit comme saoulé par l'iode de la mer implacable, la gorge rapeuse d'avoir trop respiré la poussière du désert, les yeux piquants à cause de la fumée de quelques feuilles de maïs trop sèches. Ébahi aussi par l'art de cet écrivain qui sait que le monde sublunaire est à mille facettes, et qu'il est inutile de faire le faraud devant lui. Pour le mieux chanter, il faut être caméléon, prendre ses reflets et ses couleurs, faire mine de le comprendre un peu pour mieux explorer ses mystères cruels et hautains, à défaut de les expliquer jamais.