Simone Weil, philosophe, se consacrant à la mystique chrétienne dont la Pesanteur et la Grâce est un éminent témoin de la foi de Weil. Le livre se présente comme un recueil d’aphorismes portant sur divers thèmes. Cependant tout le livre est parcouru par l’opposition entre la pesanteur et la grâce. La pesanteur est ce qui nous rattache à notre moi, ce qui le conserve, et la grâce ce qui ce transcende ce moi, ce qui l’emmène vers le divin. Pour Weil, Dieu a donc créé le monde et s’en retiré, laissant donc la pesanteur et la grâce "s’affronter". Ainsi "Il faut une représentation du monde où il y ait du vide, afin que le monde ait besoin de Dieu. Cela suppose le mal.".

Ce qu’il y a d’intéressant dans la mystique de Weil, c’est qu’elle compose avec l’absence de Dieu (elle parle même d’athéisme). La croyance en l’inexistence de Dieu est nécessaire pour sa croyance : "Electre pleurant Oreste mort. Si on aime Dieu en pensant qu’il n’existe pas, il manifestera son existence." ou "Dieu ne peut être présent dans la création que sous la forme d’absence". Il s’agit aussi pour Weil de développer une pensée qui engloberait les contradictions (ou tout du moins les penserait) comme on peut le voir à propos de Dieu (a la fois absent et présent de ce monde) notamment : "Parenté du mal avec la force, avec l’être, et du bien avec la faiblesse, le néant. Et en même temps le mal est privation. Élucider la manière qu’ont les contradictoires d’être vrais. Méthode d’investigation : dès qu’on a pensé quelque chose, chercher en quel sens le contraire est vrai.".

Quel type d’être pourrait donc faire lien avec le divin, dans un rapport sans compromission puisque toutes contradictions sont écartées ? Un moi "gracié", ou tout du moins un moi après sa destruction. Ainsi "Nous ne possédons rien au monde – car le hasard peut tout nous ôter – sinon le pouvoir de dire je. C’est cela qu’il faut donner à Dieu, c’est-à-dire détruire. Il n’y a absolument aucun autre acte libre qui nous soit permis, sinon la destruction du je.". C’est justement la destruction du je qui permet le rapport au divin. Cette destruction passe, mystique chrétienne oblige, par la plus grande humilité qui soit : "Remède contre l’amour imaginaire. Accorder à Dieu en soi le strict minimum, ce qu’on ne peut absolument pas lui refuser – et désirer qu’un jour et le plus tôt possible ce strict minimum devienne tout.". Tout être est pris dans la pesanteur, et son salut, la grâce qui n’est autre que la destruction du je pour permettre un lien entre Dieu, cette présence vide et lui. Ainsi Weil dans un aphorisme que l’on aurait cru écrit par un Cioran, déclare : "La vie humaine est impossible. Mais le malheur seul le fait sentir". La vie prise entre la pesanteur et la grâce.

Il y a certaine beauté à voir Simone Weil esquisser cette mystique pure, sans compromis. Même si durant ma lecture je n’ai pas cessé de penser à la volonté de néant que Nietzsche propose pour qualifier l’ascétisme chrétien, voir cette pureté chrétienne se déchainer à, une fois de plus, une certaine grâce.

"" Dans l’Orient désert..." Il faut être dans un désert. Car celui qu’il faut aimer est absent."
Heliogabale
7
Écrit par

Créée

le 1 mai 2014

Critique lue 2.6K fois

31 j'aime

4 commentaires

Héliogabale

Écrit par

Critique lue 2.6K fois

31
4

D'autres avis sur La Pesanteur et la Grâce

La Pesanteur et la Grâce
ClementLeroy
9

un livre tout à fait singulier ! En état de grâce.... ( Facile, je sais )

Bonjour à tous, Me revoilà, parmi vous, avec ce livre. Il est très connu des croyants ( en règle générale ) et très peu des athées. Je ne savais pas du tout à quoi m' attendre en ouvrant ce livre...

le 28 févr. 2017

12 j'aime

4

La Pesanteur et la Grâce
Soph_Que_Bon
10

La Bible de mes 18 ans. Lumière ! Pureté !

Pas grand-chose à en dire... ce bouquin m'a transcendée. C'est de la mystique profondément émotionnelle, borderline - pas d'ésotérie, très peu de références religieuses à proprement parler. Si je le...

le 29 juin 2011

8 j'aime

La Pesanteur et la Grâce
Rubedo
9

Critique de La Pesanteur et la Grâce par Rubedo

"Il ne faut pas secourir le prochain pour le Christ mais par le Christ. Que le moi disparaisse de telle sorte que le Christ, au moyen de l'intermédiaire que constituent notre âme et notre corps,...

le 2 nov. 2017

3 j'aime

Du même critique

L'Anti-Œdipe
Heliogabale
10

Perçée

Malgré son titre, ce livre n’est pas totalement contre la psychanalyse, et son sujet dépasse le champ de cette dernière. C’est avant tout une critique contre toute tentative de réduire le désir à un...

le 27 févr. 2014

24 j'aime

1

Pour en finir avec le jugement de dieu
Heliogabale
8

"Il faut que tout soit rangé à un poil près dans un ordre fulminant."

Pour en finir avec le jugement de dieu, est avant tout une émission radiophonique, enregistrée et censurée. Le texte est dit par Artaud lui-même, Roger Blin et Maria Casarès. Ces poèmes mélangent...

le 20 juin 2014

23 j'aime

Daydream Nation
Heliogabale
10

Crever le mur

J’exhume des textes que j’avais écrits (mais j’ai quand même réécrit quelques parties) quand j’étais un peu plus jeune. Daydream Nation m’avait fasciné, jusqu’au point d’avoir influencé la manière de...

le 9 déc. 2014

20 j'aime