Une pointe de Truman Capote, un dose de Norman Mailer (voire de Dos Passos) et un zeste de Hunter H. Thompson: voilà, vous avez un Jaenada!


Alléchant? Oh que oui!


Philippe Jaenada s'empare du faits divers avec talent, sensibilité et une bienveillance qui manque cruellement au monde actuel. Jaenada prend son lecteur par la main et lui raconte son histoire: comment il a écrit ce livre, et pourquoi.


Cette narration, très personnelle, faite de digressions sur la vie de l'auteur, a pour effet d'impliquer totalement le lecteur, suspendu aux lèvres de l'écrivain tout au long de ce très gros roman, lequel connait quand même certaines longueurs qui ne nuisent pas pour autant à ses mérites.


Dans La petite femelle, Jaenada revient sur un fait divers qui a marqué son époque, l'histoire de Pauline Dubuisson qui, en 1951, tua son ancien amant Félix Bailly de trois coups de revolver.


Nous sommes dans l'immédiat après-guerre, la presse flaire le sang lorsqu'elle apprend que Pauline est une "pute à boches", et lâche les fauves aveuglés de haine, emplis d'un besoin de vengeance cathartique, sur la petite femelle.



La hyène, la salope. Une misérable petite putain. Une fille sans âme, une garce, un monstre. Une meurtrière qui a tué plus qu’un homme, qui a tué la pureté. Mauvaise, féroce, perverse, diabolique, insensible, amorale, tous ces mots lui ont été appliqués, plutôt jetés dessus, dans la presse et dans les rues, partout en France. Madeleine Jacob, chroniqueuse judiciaire sans pincettes ni scrupules, a écrit dans Libération (le journal qui a été créé dans la clandestinité en 1941 et a couvert l’après-guerre jusqu’en 1964, pas celui de Sartre et July) : « Orgueilleuse, obstinée, sensuelle, égoïste, méchante et comédienne. Tout cela se lit au premier regard sur le visage pâle, émacié, de Pauline Dubuisson. »



A cette vague nauséabonde, Jaenada répond:



C’est bien, de se contenter du premier regard, Madeleine, ça évite de perdre du temps avec les traînées dans son genre.



Le ton est donné, Jaenada s'est fixé une mission: comprendre.


Et pour ce faire, il rouvre l'enquête. Minutieusement, à tâtons, il va fouiller l'histoire (absolument passionnante) de Pauline, de son enfance à son décès. Point par point, il va reprendre l'enquête policière, en démontrer les incohérences, les non sens, les erreurs, et ce qui est terrifiant, c'est qu'il ne fallait pas moins de 700 pages pour en faire la liste.


Il va analyser les minutes de ce procès bâclé qui s'est déroulé dans un climat de tension intolérable, sous les assauts conjoints de la populace et de la presse qui auront raison de la Justice, et dont le seul mérite aura été de faire prendre la Robe à un tout jeune homme: Jacques Vergès.


Pauline est une héroïne tragique. Fragile, victime d'une éducation défaillante, elle se construit en temps de guerre. Elle a tué, c'est certain, Jaenada ne prêche pas l'absolution, mais demande Justice pour celle qui est devenue à ses dépens, le symbole de ce qu'un pays brisé, peinant à se révéler, doit oublier.


Et Pauline va payer, plus que de raison. Elle paiera pour sa dignité, sa modernité, son refus de de soumettre ou de justifier ses choix de vie.


Jaenada souligne l'abjection de ces emballements médiatiques populistes qui sacrifient l'humain pour amuser la foule, folie répugnante décuplée avec l'apparition des réseaux dits "sociaux" , encore aggravée par l'impunité de l'anonymat.


Jaenada en appelle à la raison, à l'humanité des lecteurs.


Raphaëlle Leyris a écrit dans Le Monde:



La Petite Femelle est le récit d'une chute (...) la beauté du livre tient au fait que le geste de l'écrivain consiste à se pencher vers elle pour l'aider à se relever



Au final, je ne pense pas pouvoir mieux dire.


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Chatlala
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le 16 mars 2018

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