C’est un récit très dur, intimement traumatisant et infiniment bouleversant que celui que nous raconte Adélaïde Bon dans son premier roman. Son destin tragique mêlé à celui de Giovanni Costa, dit l’électricien, est autant celui de la perte de l’innocence que de la douleur de l’avancée dans l’âge adulte. Ici, elle décrit avec beaucoup de réalisme et de courage, la vie de l’après traumatisme, l’histoire d’une vie gâchée par la violence d’un homme, ses efforts constants pour survivre aux méduses qui étendent ses tentacules dans tout son être. Mais elle nous parle aussi et surtout de ce qui se passe pour la victime dans ces circonstances : la sidération, la dissociation.. Autant de situations qu’elle a vécu, mal être du corps et de l’esprit, dévastation des sens, absence de foi en l’avenir… Une gradation de la souffrance qui se solidifie au fur et à mesure des pages jusqu’à devenir une muraille autour de son corps et de son coeur.
Beaucoup de souffrances mais une farouche volonté de s’en sortir, de comprendre. Adélaïde Bon est une jeune femme issue d’une famille aimante, compréhensive, attentive. Pourtant, le choc est trop grand, elle reflue le traumatisme, l’enferme à double tour alors qu’il ne fait que s’échapper par tous les pores de sa peau.
La petite fille sur la banquise n’en peut plus d’attendre qu’on vienne la réchauffer, qu’on l’ignore. Alors elle se manifeste, s’impose, à elle comme à nous.
Au choc, trop grand pour les épaules d’une petite fille, s’associe heureusement la bienveillance d’une psychiatre spécialisée, l’appel salvateur d’un inspecteur de police zélé, l’entraide généreuse d’une avocate sensibilisée.
Cette histoire est celle d’un parcours, celui d’une petite fille parmi les ombres autant que celui d’une femme qui réclame justice. C’est aussi la voix de toutes celles qui ne parviennent pas à faire entendre la leur, parce que la souffrance les fait taire et les domine.
Un récit très intime, dérangeant, percutant où se dévoile l’urgence de l’écriture, l’horreur des faits, la douleur de la confrontation, les failles humaines, l’impression d’une lumière qui perce les nuages.
Un récit qui s’ajoute malheureusement aux nombreux autres qui traitent de ce thème mais qui décrit avec une précision presque chirurgicale les souffrances causées par ce traumatisme. Un premier roman intime et d’une grande violence, écrit à la troisième personne du singulier, comme une ultime distanciation grâce à l’écriture.
Une gifle au visage du lecteur, l’obligeant malgré l’horreur, à regarder la noirceur en face mais une oeuvre nécessaire pour inverser l’emprise, délivrer les mots, entendre la souffrance.
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