J'ai hurlé de joie l'autre tout seul dans ma voiture en apprenant qu'Annie Ernaux devenait prix Nobel de littérature. Joie d'autant plus forte que l'annonce de la radio m'a d'abord fait croire à son décès. Fraction de désespoir immédiatement balayé par la joie.
Annie Ernaux bon sang prix Nobel de littérature !
J'ai eu l'impression de recevoir un cadeau rien que pour moi.
En 1997 quand Dario Fo reçut le prix Nobel j'eus l'impression de le recevoir moi tant ce couronnement d'un bateleur comédien cabotin incarnait la conception d'une forme de théâtre populaire à laquelle, dans mon petit coin, je me dévouais de toute mon âme.
Avec Annie Ernaux c'est une part intime secrète de moi qui est réconfortée.
Annie Ernaux n'a à priori rien pour séduire le fervent adepte d'aventures et péripéties, son écriture "plate" son absence de romanesque semblent aux antipodes de ce que je recherche et pourtant... J'ouvre un livre (même si je ne le connais pas) et je suis saisi happé par la densité humaine qui s'en dégage.
Avec "La place"
J'ai ressenti le poids de la fatigue, la dureté du labeur sur le corps, l'odeur du café dans la cuisine et le gras sur la toile ciré. Le père faisait revivre mon grand père et tous ces hommes qui avaient jeunes connu la guerre, qui ne parlaient pas trop, qui travaillaient beaucoup qui semblaient dur parfois mais que j'admirais tout en les craignant un peu quand même.
Mais les petits récits d'Ernaux dépassent largement la nostalgie pour saisir la dimension universelle de la nature humaine
Car à travers la pesante réalité du père, ce fut, mon désir d'exister, ma crainte de ne pas être à la hauteur (auteur de ma place) et la frustration de mes désirs que j'ai retrouvés, et aussi parfois l'idée que malgré tout je tenais ma place.