Même si Annie Ernaux prévient dès le début qu'elle cherche l'écriture la plus plate et neutre possible, la lecture a tout de même été un peu compliquée, et assez peu plaisante : beaucoup de phrases sans verbe, des longues listes à la Prévert. Tout comme l'évènement, le style reste une petite barrière d'entrée à le lecture malgré son apparente simplicité.
Reste que la construction du récit est plutôt réussie. On apprend d'emblée les circonstances de la mort de son père, puis vient une longue description froide de sa vie, ses rêves, son caractère, pour revenir finalement aux liens qui se distendent petit à petit entre l'autrice et son père. Les passages les plus intéressants demeurent ceux où Annie Ernaux parle de son rapport à son père, et surtout sur l'exercice d'écriture qu'elle entreprend autour de lui. Annie Ernaux brille toujours lorsqu'elle se regarde écrire, et se pose la question des raisons de son ouvrage : "j'écris peut-être parce qu'on n'avait plus rien à se dire".
La vraie réussite du livre tient vraiment dans la description de l'éloignement de son père et de sa famille à mesure de son transfuge de classe. Lorsque Annie ramène des amies de fac, ou bien son nouveau petit ami, tous venant de milieu bourgeois, l'attitude de son père se pliant en quatre pour bien les recevoir et faire bonne impression, est réellement émouvant. Symbole ultime et précurseur de l'érosion de la relation père-fille, le court paragraphe où Annie Ernaux raconte sa première et seule visite avec son père à la bibliothèque est également vraiment touchante : "Qu'est ce que vous voulez comme livres ? A la maison on n'avait pas pensé qu'il fallait savoir d'avance qu'on voulait."
Si de ce récit assez froid, il ressort donc quelques fulgurances d'émotion, le tout m'aura tout de même paru moins affirmé et percutant que l'évènement. Curieux de lire désormais l'autre versant de l'histoire, avec la mère d'Annie Ernaux, dans "Une femme".