J'étais tranquillement en train de mater un documentaire de plus aux vagues teintes béhavioristes étudiant le comportement coopératif et moral dans le règne animal, et posant la question du concept d'empathie chez les primates, du chimpanzé au singe capucin.
Un sujet qui, parmi beaucoup d'autres dans le domaine animalier, a la faculté de m'absorber totalement s'il est bien amené. Et c'était le cas.
Un type armé d'un petit polo propret présentait des extraits de vidéos sur différents animaux, particulièrement des singes, s'armant d'une gestuelle étudiée pour attendrir son audience sur son exposé qui, s'il ne parvenait pas à intéresser d'un point de vue scientifique, pourrait toujours provoquer rires et émotion chez un public avide de connaissance et de bains de foule.
C'est devant ce docu que l'envie de parler de "La Planète des Singes" m'est cruellement venue, alors que totalement hypnotisé par le thème directement lié aux grands singes, une de mes plus fortes passions, je ressentais plaisamment les 99% de mon attention si fortement intriguée et satisfaite... et les 1% qui restaient et peu à peu se développaient dans les tréfonds de mon être.
Au début, il n'y avait en moi que l'intérêt profond apporté aux images montrées et à l'étude qui en découlait à flots généreux, le reste n'étant qu'assoupi temporairement. Puis, l'attrait pour les vidéos de chimpanzés se coordonnant par signes, ébauche surprenante et prononcée d'un langage manifeste, pour acquérir de la nourriture, ou de singes capucins rejetant avec hargne la mauvaise bouffe qui leur était offerte, dénotant l'esquisse d'une rancoeur chez un animal à l'oeil vif se déporta doucement vers l'assemblée réunie ici, allant des grappes de gens bien habillés s'esclaffant d'un regard anthropomorphique devant ces créatures étonnantes de ce qu'on ose qu'à peine appeler "intelligence", au professeur tout sourire organisant son gigantesque show comme un magicien enchaîne ses précieux tours, la blague aiguisée et le sourire étincelant.
Petit à petit, j'ai ressenti les 1% restant comme 1% d'un arrière goût de merde, repensant à cette exacte scène inversée de l'assemblée de singes fixant d'un oeil incrédule l'étrange être nommé Ulysse Mérou déblatérer son vocabulaire articulé et structuré dans une langue débutante et pourtant parfaitement compréhensible. Le souvenir de la description de ces mêmes singes se sentant devant un animal savant de cirque, l’exhibant comme un monstre rare aux exquises capacités d'imitation et le traînant en laisse dans les rues. Hésitant devant l'idée d'ouvrir son crâne pour en comprendre les méandres abscons si mystérieux, démonstration d'une hideuse, terrifiante et implacable soif de connaissance. Comment diable cet humain, cet être sous évolué était-il là, devant eux, dégobillant des paroles intelligibles ? Une seule réaction à ça, une seule échappatoire possible devant l'idée impie d'une entité vivante égale à la sienne : L'hilarité.
Le parallèle était parfait. La mise en abîme aussi succulente qu'elle n'est douloureuse. L'inversion sonnant comme la déflagration soudaine et lancinante d'un hurlement étouffé contre l'être qu'on est et représente, laissant fleurir à chaque relecture le bourgeon d'une haine profondément ancrée envers soi-même alors que progressivement, dans une douleur arrachante, ce n'est plus à la victime humaine que l'on s'identifie, mais au bourreau simiesque, agissant ici en monstre dans la plus simple et conventionnelle des habitudes du désir scientifique.
Ce livre m'a bouleversé violemment et j'en garde la savoureuse cicatrice. Pierre Boulle, visionnaire, signe une oeuvre intemporelle et d'un violent cynisme qui a le mérite unique et douloureux de réussir plus qu'aucune autre à parler de l'être humain.