Mohamed Mbougar Sarr a reçu le prestigieux prix Goncourt en 2021 pour La plus secrète mémoire des hommes, une œuvre que d’aucuns qualifient de chef-d’œuvre postmoderne. Pourtant, derrière l’épaisse couche de louanges et le vernis des éloges littéraires, se cache un roman qui peut, à juste titre, laisser un goût amer.

L’une des premières failles majeures de ce livre réside dans son ambition démesurée. Sarr s’efforce de couvrir une myriade de thématiques : la quête identitaire, la filiation, le rôle de la littérature, l’Histoire coloniale, la mémoire, et bien d’autres encore. Si, sur le papier, cette ambition semble noble, elle se traduit ici par une confusion narrative où le trop-plein d’idées asphyxie le propos. Chaque piste prometteuse est rapidement abandonnée pour céder la place à une autre, créant une impression de superficialité déguisée en complexité. Le roman, en tentant de traiter tout, finit par ne traiter rien en profondeur. Par exemple, la réflexion sur la littérature, bien qu’intelligente par moments, s’embourbe dans une multitude de références qui semblent être là uniquement pour montrer l’érudition de l’auteur, plutôt que pour enrichir l’histoire. Le livre devient alors une sorte de labyrinthe intertextuel où l’émotion cède le pas à l’intellectualisme stérile.

La prose de Sarr, souvent qualifiée de brillante, souffre en réalité d’une lourdeur excessive. Le style oscille entre des envolées lyriques surchargées et des passages introspectifs interminables, ce qui finit par fatiguer le lecteur. À trop vouloir impressionner, l’auteur donne l’impression d’écrire pour une élite littéraire, excluant de fait toute spontanéité ou naturel. Prenons, par exemple, les descriptions : elles sont souvent étirées à l’extrême, au point de perdre leur pouvoir évocateur. Au lieu de nous transporter, elles nous noient dans des métaphores et des digressions qui, bien que parfois élégantes, manquent cruellement de pertinence ou de rythme. Résultat : le plaisir de lecture est étouffé par la volonté évidente de briller à tout prix.

L’élément humain du roman, qui aurait dû être le cœur battant de l’histoire, est étrangement sous-développé. Le protagoniste, Diégane Latyr Faye, manque d’épaisseur et peine à susciter l’attachement ou l’empathie. Il agit davantage comme un prétexte pour explorer des concepts abstraits que comme un personnage vivant et vibrant. Les figures secondaires, bien que nombreuses, ne sont guère plus mémorables. Elles semblent souvent réduites à des fonctions narratives ou des archétypes, sans véritable individualité. Ainsi, le roman échoue à créer une galerie de personnages qui résonnent émotionnellement avec le lecteur.

La plus secrète mémoire des hommes est souvent présenté comme un hommage à Le Devoir de violence de Yambo Ouologuem et à d’autres œuvres majeures du canon littéraire mondial. Cependant, cet hommage vire trop souvent à l’imitation servile. La recherche d’intertextualité devient un exercice de style où Sarr emprunte tant aux autres qu’il peine à trouver sa propre voix. Le roman semble constamment regarder en arrière, s’appuyant sur des œuvres antérieures pour asseoir sa légitimité. Cette posture, loin d’être un hommage réussi, donne parfois l’impression que l’auteur s’abrite derrière des références littéraires pour masquer les faiblesses de son récit.

Au-delà de sa construction narrative complexe et de son style pesant, ce qui déçoit le plus dans ce roman est l’absence de propos clair. Que veut nous dire Sarr ? La question reste en suspens tout au long des 450 pages. Certes, on perçoit des interrogations sur le rôle de l’écrivain africain, le poids de l’Histoire et le colonialisme, mais rien n’est réellement affirmé ou approfondi. Le roman finit par se dissoudre dans une brume d’intentions vagues et de digressions stériles.

YOKOTA
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