La parution en 1858 d’un ouvrage massif de Proudhon intitulé "De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise" avait entrainé une vaste polémique, notamment en ce qui concerne les chapitres qu’il consacrait à sa vision de la femme. Des auteurs féministes avaient adressé leurs objections au philosophe, souvent avec virulence. Parmi elles, Juliette La Messine et Jenny d’Héricourt, auxquelles Proudhon entreprend de répondre dans "La Pornocratie", livre qui restera inachevé. Répétant et développant les idées déjà présentées dans "De la Justice", Proudhon laisse libre cours à sa verve pamphlétaire et ne ménage pas ses contradictrices, qu’il sait « soutenues par les encouragements de quelques castrats littéraires » et en qui il voit des disciples de Prosper Enfantin, un des maîtres à penser du mouvement saint-simonien. « Vous êtes conséquente avec vous-même, écrit-il à Mme La Messine, je veux dire fidèle aux ténèbres qui vous assiègent. » Et il ajoute : « Je m’en rapporte à celui que la loi du mariage a établi gardien et répondant de vos mœurs ; plût à Dieu qu’il eût aussi bien gardé votre plume ! »


La pornocratie, qu’on pourrait définir comme une forme d’effémination de la société, est selon Proudhon la seconde puissance à l’œuvre dans la France de son temps, juste derrière la puissance de l’argent. S’appuyant sur ce qu’il appelle « le parti de la bohème » et prétendant émanciper les femmes, cette pornocratie dissout l’ordre familial et social et s’exprime par diverses voies : le théâtre (la critique proudhonienne poursuit ici celles de Bossuet et de Rousseau), l’utopie de l’amour pour l’amour, le concubinat (émanation de l’aristocratie et « repère habituel des parasites, des voleurs, des faussaires et des assassins »), l’idée du suffrage féminin, le malthusianisme, les femmes savantes, la porosité existant à l’ère moderne entre le mariage et la prostitution… Proudhon appelle à l’établissement de conseils de famille pour régler les litiges matrimoniaux et à l’adoption en faveur du mari d’un droit de mort sur sa femme en cas d’adultère, d’impudicité, d’ivrognerie, de vol ou d’insoumission. « Dans une société où la loi ne protège pas la dignité du chef de famille, c’est au chef de famille à se protéger lui-même. » Un brûlot radical et volontairement provocateur dans ses excès.

David_L_Epée
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le 17 nov. 2015

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