Publié sur L'Homme Qui Lit :
Laurent Gaudé est l’un de ces rares auteurs contemporains que j’estime incontournable quand on aime la littérature française pour ce qu’elle offre de plus beau. Aussi, depuis que j’ai été transporté par ma lecture du Soleil des Scorta paru il y a déjà plus de quinze ans, j’ai entrepris de lire l’ensemble de ses romans et j’avance dans ma tâche avec une lenteur calculée, destinée à faire durer ce plaisir savoureux. Lorsque j’ai annoncé sur ma page Facebook que je débutais la lecture de La Porte des enfers, nombreux furent les commentaires me conseillant tel ou tel titre jugé plus merveilleux encore, et c’est bien la première fois qu’un tel engouement se créée sur ma page à propos de l’œuvre d’un auteur : c’est dire qu’il est aimé !
À Naples, Matteo vient de perdre son fils de six ans, Filippo, dans une effroyable fusillade entre deux familles rivales de la Camorra ; et c’est le terrible destin d’une journée où rien n’allait qui plaça le petit Pippo sur le trajet de cette balle, alors qu’il aurait suffit de quelques secondes, de quelques décisions différentes pour qu’il en soit autrement. Dans sa douleur, Matteo accepte une ultime supplication de sa femme Giuliana : « rends-moi mon fils, Matteo. Rends-le-moi, ou, si tu ne peux pas, donne-moi au moins celui qui l’a tué ! » . La décision est prise, il devra alors tuer Toto Cullaccio, qu’une âme bienveillante a désigné coupable de la mort de son enfant.
Seulement voilà, Matteo en est incapable, et lorsque Giuliana le quittera en le maudissant, il poursuivra sa déchéance au volant de son taxi de nuit. Arpentant les rues de Naples, il y rencontrera la faune particulière que seules les nuits protègent, Graziella, qui préfère qu’on l’appelle Grace à l’américaine, la prostituée transexuelle qui expie ses péchés après sa nuit de travail, le professore Provolone, qui a travaillé toute sa vie sur la porosité entre le monde des vivants et des morts et qui fricote dangereusement avec les mauvais garçons de la ville, don Mazerotti, le curé qui s’est attiré les foudres de Rome en côtoyant ceux que personne ne veut côtoyer, et Garibaldo, le propriétaire du café dans lequel tous se retrouveront à la faveur de la nuit. Ensemble, ils iront frapper à la porte des enfers pour aider Matteo à tenir la promesse faite à sa femme.
Difficile de parler de ce livre sans trop en dire, je serai tenté de tout vous raconter, de vous expliquer comment Laurent Gaudé réussi comme nul autre à rendre vivant un conte moderne, à faire pleurer les vivants comme les morts, mais je trahirai la belle surprise que ce récit vous offrira lorsque vous vous y plongerez. C’est magnifique, sensible, intelligent, la plume est superbe, concise, presque chirurgicale dans ses incisions littéraires. Que dire de plus, si ce n’est que je le recommande chaudement et qu’il fait honneur à l’amour que nous portons tous aux romans de Laurent Gaudé ?
La Porte des enfers, de Laurent Gaudé, a paru chez Actes Sud en août 2008 et est disponible en poche chez Babel depuis juin 2010.