Peut-être l'ouvrage le plus pessimiste de Michel Houellebecq, pas tant dans la description de la vie de son personnage principal, qui, pour une fois, n'est pas complètement un "loser", mais dans le message qui se tisse en toile de fond. Un message de désespoir vis-à-vis du genre humain. L'Homme parviendra t-il, dans nos sociétés modernes puis dans ce futur qui s'annonce technologique et scientiste, donc de moins en moins humaniste, à garder justement cette part irréductible d'humanité que sont : l'amour, le sexe et la violence intrinsèque au vivant. Si l'on supprime ces trois composantes naturelles, la part pulsionnelle quasi animale de l'Homme, que reste-il en nous qui mérite d'être vécu ? C'est, à mon avis, tout l'enjeu de ce roman incarné par le personnage central, Daniel, que l'on suit au cours de deux temporalités. La première correspond à notre époque contemporaine et la seconde suit le même personnage 25 générations plus tard car, contrairement à ses romans précédents, Houellebecq entre de plein pied dans un récit de science-fiction. En effet, on apercevait déjà ce goût pour l'anticipation à la fin des Particules élémentaires mais là, dans La Possibilité d'une île, ce penchant prend une part importante du récit puisque Houellebecq alterne le chapitrage entre présent et futur.


Il est ici question d'une secte installée en Espagne dont le message mystico-religieux porte sur l'avènement de l’immortalité grâce à la science. Le succès modeste de la secte à notre époque, donc à celle de "Daniel 1" dans le livre (le chiffre correspondant à la génération post clonage), s'avèrera planétaire grâce justement aux révélations des chapitres futuristes se déroulant "25 Daniel plus tard" dans lesquels la néo-humanité s'est recomposée autour de ce nouveau dogme. Le roman fait aussi la part belle aux déboires sentimentaux et sexuels de son héros tout comme aux considérations sociologiques et politiques dont Houellebecq a le secret et qu'il distille tout au long de son histoire de manière toujours très désinvolte. On adhère ou pas au message derrière, peu importe, j'ai envie de vous dire. Houellebecq a au moins le mérite de pousser à la réflexion. Il est en effet difficile de rester insensible à 6 pages d'affilées, en plein cœur du récit, sur la perte de vitalité de l'Occident, la misère sexuelle ou l'expansion de l'Islam en Europe. Ce sont ses obsessions, le fil conducteur de tous ses livres. Mais je crois pouvoir dire que ce sont les obsessions de ses contemporains. Le succès international de l'auteur ne tombe pas du ciel.


Alors qui est le personnage principal et pourquoi avoir souscrit à cette secte ? Comme bien souvent, le héros fait énormément penser à Michel Houellebecq lui-même. C'est la marque de fabrique des romans houellebecquien, cette confusion savamment entretenue entre l'auteur et son personnage pas tant dans les activités, ou les faits et gestes mais davantage dans les pensées, le caractère ou les obsessions. Dans La Possibilité d'une île (titre magnifique au passage qui prend sens à un moment clé du roman), Daniel est un humoriste français célèbre en fin de carrière, quadragénaire, riche mais en pleine crise existentielle qui va, un peu par la force des choses, intégrer cette nouvelle religion planétaire par simple curiosité puis pour en comprendre le fonctionnement, les rouages. Pour le fondateur de la secte, il s'agit ni plus ni moins de remplacer les humains par des néo-humains sans sexe (l'organe et la pratique), supprimer les sentiments amoureux, la faim en réduisant les besoins énergétiques journaliers etc. Bref, un transhumanisme qui ne dit pas son nom consistant à rendre l'Homme sans affect, inapte aux pulsions, complètement insensible et placide à ce qu'ils estiment être des faiblesses physiques et psychologiques mais qui constituent à bien des égards le sel de la vie.


Malgré l'apparente incongruité du scénario, l'histoire est menée de manière exemplaire. L'aspect dramatique montant crescendo avec pour point d'acmé (au 3/4 du récit) un poème sublime de Houellebecq, ultime témoignage du désespoir du héros. On oubliera pas de préciser les nombreux passages de sexe ou parlant de ce sujet, la spécialité de l'auteur. Tous ne sont pas réussis mais globalement je trouve intéressant l'angle sous lesquels il aborde justement cette question du cul. Il y a toujours une réflexion derrière. Les scènes ne sont jamais gratuites, nous sommes à des années lumières des romans érotiques à deux balles même si, j'en conviens, certains passages sont mal écrits ou tout simplement glauques. Pour ma part, le glauque est volontaire car lorsqu'on voit la poésie dont est capable l'auteur, la sensibilité à fleur de peau dont il fait preuve, ce n'est pas possible autrement. Cela reste mon opinion.


Pour moi, La Possibilité d'une île est un roman d'anticipation réussi. Le pessimisme de l'auteur vis à vis des sociétés modernes, en perte de vitalité total, n'a d'égale que la crédibilité du scénario. Car si l'on pénètre dans le genre de la science-fiction pour la première fois avec Michel Houellebecq, il n'en demeure pas moins l'idée que tout ce qui s'y produit pourrait advenir un jour lorsqu'on voit, par exemple, les progrès vertigineux de la science. Et l'on sait tous (grand problème philosophique au demeurant) que la technique l'emporte toujours sur l'éthique. Tout ce que la science peut faire (eugénisme, transhumanisme, PMA, GPA, clonage etc.) fini toujours par être normalisé.


Sans même se risquer à donner une crédibilité farfelue à son histoire, les prospectives proposées par le romancier concernant le futur de l'Europe, le destin des occidentaux engagés plus que jamais dans le vide existentiel et le déclin de notre civilisation font froid dans le dos. Houellebecq a capté l'essence de notre époque, probablement au prix du sacrifice de sa propre vie, et la décrit à merveille grâce à ses personnages désabusés. Le nihilisme vertigineux de nos sociétés a un visage humain dans ce roman et c'est ce qui, je crois, fascine bon nombre des lecteurs. L'auteur nous tend un miroir grossissant mettant à nu notre médiocrité. Nous nous pensons libres pourtant, la mise en exergue de notre conditionnement (de notre servitude volontaire) et des travers qui touchent l'individu déraciné semble insupportable à bon nombre de personnes qui choisissent aujourd'hui l'invective (romancier surcoté) ou l'insulte (facho - misogyne) dès que le nom de Houellebecq est évoqué. Il me semble qu'il s'agit là du témoignage le plus probant de sa perspicacité.

silaxe
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le 19 oct. 2018

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