J’avais déjà lu ce roman il y a une quinzaine d’années (comme tous ceux qui font des études littéraires, je pense). J’en avais gardé une impression plutôt médiocre : pourquoi l’auteur passe-t-elle tant de pages à décrire la cour, avec tant de princes et de reines qu’on s’y perd immanquablement ? Pourquoi, alors qu’on attend une histoire d’amour, n’y consacre-t-elle qu’à peine la moitié du roman ?
La deuxième lecture me fut beaucoup plus profitable. Maintenant, je comprends pourquoi on considère ce roman comme un des plus important de la littérature française.
Alors, pourquoi toutes ces pages consacrées à la description de la cour ? Plusieurs raisons me viennent à l’esprit. D’abord parce que les personnages fréquentent la cour. Or, tout ce qui arrive à un des personnages de cette cour est immédiatement connu de tout le monde. La cour agit comme un univers clos, renfermé sur lui-même, où les informations circulent très vite. On a un épisode où un secret est dévoilé et passe d’une personne à l’autre jusqu’à revenir finalement au premier intéressé.
Et puis, nous oublions trop que ce roman est aussi politique. Mme de La Fayette insiste sur les différents clans qui se font la guerre. C’est dans ce contexte de conflit permanent que va intervenir cette histoire d’amour si singulière.
Mais cette cour a aussi un autre intérêt. Les lecteurs de l’époque du roman (1678) connaissaient bien les personnages dont parle Mme de La Fayette (le roman se déroule en 1559), qui sont souvent leurs ancêtres. Mais surtout, de façon à peine cachée, l’auteur, en parlant de la cour de Henri II, parle aussi de celle de Louis XIV (époque où le roman a été écrit).
Alors, pour nous, lecteurs du XXIème siècle, tout cela peut nous paraître bien compliqué et franchement inutile. Et c’est compliqué, bien sûr. Je conseille au lecteur le plus tenace de faire des recherches sur les différents personnages dont on parle (l’idéal étant d’avoir une édition qui propose des notes, voire même un tableau généalogique).
Deuxième élément frappant : fidèle à l’esprit classique de son époque, Mme de La Fayette fait une description plutôt négative de la passion amoureuse. Son principal crime est de faire perdre la raison : les victimes ne sont plus capables d’agir de façon intelligente, elles ne sont plus maîtresses d’elles-mêmes. La folie les guette. La preuve : les personnages se perdent dans leurs contradictions. Ils sont à la fois heureux et malheureux, victimes et bourreaux, ils rêvent de voir l’être aimé et de le fuir en même temps.
Enfin, ce roman est un roman de la parole. C’est peut-être même le personnage principal de l’œuvre. Il y a ce que l’on dit, ce que l’on ne dit pas, ce que l’on devrait dire mais que l’on tait, ce que l’on devrait taire mais que l’on dit quand même, etc. Tout le roman se base sur la maîtrise de la parole et du silence. Dans un monde comme la cour, il faut savoir parler au bon moment et pour dire la bonne chose.
Ainsi, il faut voir toutes les tergiversations autour du fameux aveu de Mme de Clèves à son mari. Avant : elle sait qu’elle doit lui avouer tout, mais n’ose pas le faire. Puis, elle agit enfin (car, en effet, la parole est une action). Puis, cet aveu fait le tour de la cour et tout le monde en parle. Etc.
Et ce n’est pas tout : ne rien dire peut être tout aussi dangereux que de dire quelque chose. A force d’être silencieux, on laisse les autres imaginer et interpréter la réalité. Pour le pire, bien souvent.
J’ai été très long, et j’aurais encore tant de choses à écrire. Le roman est très court mais dense. C’est difficile : la langue du XVIIème siècle, incroyablement maîtrisée par Mme de La Fayette, est difficilement abordable de nos jours. Mais c’est sublime, émouvant, intelligent, remarquablement construit, d’une grande finesse.