A ma maman
Je ne serais pas qui je suis sans ma mère. Elle m'a porté à bout de bras pendant les 15 premières années de ma vie, dressée contre l'univers tout entier qui ne me voulait guère de bien. Contre mon...
Par
le 15 avr. 2018
85 j'aime
33
Il ne m'a pas fallu longtemps, avant de comprendre que la Promesse de l'Aube allait être de ces livres qui vous marquent au fer rouge.
Quelques secondes environ. Certains livres peuvent vous prendre dès l'incipit, mais moi ce fut en fait juste après.
Le narrateur, allongé sur la plage de Big Sur, nous décrit le paysage et les animaux qui se pressent de plus en plus autour de son corps immobile. Et puis d'un seul coup, apparaît cette phrase qui semble ne rien avoir à faire ici : "A quarante-quatre ans j'en suis encore à rêver de quelque tendresse essentielle".
Cette confession semi-honteuse, ce besoin d'amour absolu révélé comme par automatisme, m'a profondément touché. Celui-ci est déclamé d'une manière si spontanée que je ne pouvais qu'immédiatement me prendre d'affection pour le personnage du narrateur, tout comme ce dernier allait plus tard nous expliquer qu'il ne peut pas s'empêcher d'éprouver de l'affection pour les personnes qui souffrent, non pas par réelle empathie, mais par simple égocentrisme.
Romain Gary se reconnaît dans chaque personne qui souffre, puisqu'il a été lui-même victime d'une blessure qui allait le tourmenter jusqu'à la fin de ses jours : l'amour inconditionnel de sa mère. Ancienne actrice abandonnée par son mari, elle va satisfaire ses désirs contrariés en plaçant des attentes démesurées sur son fils. Parti pour devenir par obligation le plus grand écrivain-diplomate-violoniste-danseur du monde, le jeune Romain va connaître une vie riche en expériences et en apprentissages. Car l'amour de sa mère allait instaurer en lui une quête impossible : racheter la vie ratée de cette dernière. Prêt à tout pour lui rendre une infime partie de son amour infinie, Romain va atteindre l'impensable : réaliser le souhait de sa mère, petit à petit.
Et l'on suit le foisonnement de ses aventures et de ses progrès selon un mode émotionnel : plutôt que de décrire sa vie sur un mode chronologique, il jongle avec les événements au gré de ses envies et les déforme au prisme de ses émotions. Le résultat est débordant de vie, d'humanité. Le tout est peut-être romancé, mais qu'importe, le livre nous enveloppe d'un désir intense de dépassement de soi et d'aventure. La soif d'absolu qui marque chacune des phrases est terriblement enivrante.
Au-delà de la simple histoire d'amour maternel, le roman est aussi un prétexte fabuleux pour que Romain Gary nous entraîne dans sa vision du monde. Délaissant l'hyper-rationalité qui empêche l'émotion, il enchaîne les propos intemporels sur la vie, le genre de ceux que l'on note soigneusement dans un coin de son esprit, et qui nous laisse à la fin de la phrase le sentiment d'avoir grandi, ne serait-ce que de quelques millimètres.
"Il y a longtemps que je ne suis plus dupe de mon inspiration, et si je rêve toujours de transformer le monde en un jardin heureux, je sais à présent que ce n'est pas tant par amour des hommes que par celui des jardins."
Le paradoxe final du livre est terrible : Romain va échapper à la mort de nombreuses fois, pour connaître une vie immensément riche.
Et pourtant il y mettra fin de lui-même, par une balle de calibre 38 dans la bouche.
Un acte qui continue encore aujourd'hui de susciter l'incompréhension.
Mais est-ce vraiment si étonnant, si l'on prend le livre au pied de la lettre ?
Romain a vécu une vie qui n'était pas la sienne. Chacun de ses comportements a été plus ou moins motivé cet amour culpabilisant. Lorsqu'on réalise des espoirs qui ne sont pas les nôtres, nous ne pouvons pas profiter de leur bénéfice. Finalement la mère de Romain lui aura pris toute sa liberté. Et le suicide est toujours une forme de reprise de liberté, face à nos démons intérieurs.
Au-delà de ces considérations tragiques, il n'empêche que la Promesse de l'Aube a simplement été l'une des plus belles choses qu'il m'ait été donné de lire. Je ne peux m'empêcher d'éprouver une tendresse toute particulière pour ceux qui écrivent motivés par leur amour plus que par leurs angoisses.
(le titre est une citation de Viktor Frankl)
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Livres et De manière générale je ne me souviens pas de mes lectures
Créée
le 21 juil. 2017
Critique lue 594 fois
7 j'aime
1 commentaire
D'autres avis sur La Promesse de l'aube
Je ne serais pas qui je suis sans ma mère. Elle m'a porté à bout de bras pendant les 15 premières années de ma vie, dressée contre l'univers tout entier qui ne me voulait guère de bien. Contre mon...
Par
le 15 avr. 2018
85 j'aime
33
Romain Gary est un pilier de la littérature française. Il est le seul écrivain à avoir obtenu le Goncourt à deux reprises grâce à un astucieux subterfuge, l’utilisation de pseudonymes. Il obtient le...
le 27 août 2016
75 j'aime
8
Aujourd'hui, maman est morte. Comme ça, sans prévenir, sans rien. C'est pas tant que ce soit choquant, après tout, on sait qu'on est tous amenés à passer sous la lame de la faucheuse un jour à...
Par
le 14 juin 2016
43 j'aime
5
Du même critique
Le monde des séries télévisées ne cessera jamais de m'étonner. A ceux qui disent que la créativité baisse d'année en année, je leur répondrais "Et vous avez déjà vu Rick and Morty ?". Pourtant, rien...
le 2 nov. 2014
76 j'aime
10
"It's Always Sunny in Philadelphia" est une série assez atypique lorsqu'on s'y attarde. Si on ne prend que son synopsis, c'est une sitcom stéréotypée comme il en existe des dizaines : une bande de...
le 9 mars 2014
36 j'aime
Treize années s'écoulèrent entre la naissance de "Luv(sic) Pt. 1" et la publication de la sixième et dernière partie, "Luv(sic) Grand Finale", jusqu'à la publication en CD deux ans plus tard. De...
le 9 févr. 2018
33 j'aime
11