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La Reprise est l'un des derniers grands textes de fiction publié par Alain Robbe-Grillet, en 2001, quelques années avant sa mort. Sous la forme vague d'un pastiche de roman d'espionnage se situant à la fin des années 40 dans Berlin occupée, La Reprise est surtout un essai déguisé sur le concept éponyme, examiné dans toute sa polysémie.

Le concept est emprunté à Kierkegaard qui souhaitait étudier à travers le renouvellement, la dialectique compliquée entre l'innovation et la continuité, entre le souvenir et les nouvelles expériences, sur fond de « re-naissance » chrétienne.

Robbe-Grillet utilise le concept pour réfléchir à une vieille question : la façon dont l'art a la capacité de convoquer les mêmes images à des périodes distinctes pour porter de nouveaux discours en fonction des individus qui s'en ressaisissent. Le roman raconte l'histoire d'HR, un espion français envoyé à Berlin pour une mission sibylline. Ce HR – qui apparaîtra au cours du roman sous de nombreux alias – est une sorte de double de Robbe-Grillet qui se lira également comme un Oedipe ressuscité encore divisé lui-même en d'assez nombreuses figures de gémellité dans le roman, puisque ce HR-narrateur-Robbe-Grillet-Oedipe sera confronté à un mystérieux adversaire, ayant lui aussi la possibilité de narrer dans le roman sous forme de notes suspectes, avec lequel notre héros semble beaucoup partager.

La reprise que propose Robbe-Grillet des Labdacide est passionnante, et intégrée avec beaucoup d'intelligence à la fois dans le décor d'une Berlin elle-même séparée en deux parties se faisant face et à la fois dans le genre proposé du roman d'espionnage, qui conditionne des intrigues propices à faire naître la duplicité, la suspicion, l'affrontement interne. La lutte des deux personnages, qui se dédouble en lutte de l'écriture lorsque l'adversaire commence à nier le rapport du narrateur 1 par ses propres notes de correction, est à la fois très stimulante pour sa richesse symbolique, pour son procédé méta, et se paie en même temps le luxe de relativement bien fonctionner à un niveau 0 puisque malgré l'étrangeté conceptuelle du texte de Robbe-Grillet, il peut relativement bien se lire comme une vraie enquête. Beaucoup plus en tout cas que ses grands succès des années 50 ou des années 70.

Parmi les nombreuses explorations sémantiques que Robbe-Grillet donne au terme de « reprise », l'une est toutefois beaucoup développée et se trouve beaucoup moins m'intéresser, même si elle résonne avec les obsessions personnelles de l'auteur : toute une partie du roman consiste en une exploration néo-sadienne de la manière dont le fétichisme pornographique s'empare de la réalité, et j'ai encore beaucoup de mal avec cette perspective qui m'ennuie. Elle vient un peu gâter le dernier quart du roman qui se redresse malgré tout avec son bon épilogue.

La Reprise demeure un excellent roman. À défaut de proposer quelque chose de radicalement unique – puisque tout le principe du mythe passé à l'acide de la modernité post-2GM a été très étudié dans le nouveau théâtre –, l'ouvrage de Robbe-Grillet fait une reprise très efficace de ces recherches thématiques qui ont fait le succès de la littérature innovante des années 30 aux années 50. La composition est, comme souvent avec l'auteur, magistrale de malice et d'éclatement, mais en restant tout de même nettement plus digeste que le plus expérimental de son corpus précédent. Cette accessibilité fait d'ailleurs du roman une étrangeté pour sa date de publication, 2001, qui ne s'accorde que très mal dans mon esprit avec ma représentation de Robbe-Grillet et ce qu'il propose.

Elle fait également du livre une très bonne introduction à un auteur riche et complexe dont la postérité aura été gâtée par ses propres postures critiques, plus qu'artistiques, relevant pour une bonne part de la pose.