La République est une œuvre dense, se faisant fort de traiter de la justice, par la considération de l'individu et de l'État. Il n'est pas rare que le lecteur s'y perde, à cause des nombreux passages digressifs de l'auteur, des analogies qu'il utilise pour subtilement éluder les impasses comme lorsque Adimante traite les philosophes d'inutiles (livre VI). Ainsi, si la lecture ne se trouve être d'aucune arduité particulière (à part sans doute le livre VII et la fameuse allégorie de la caverne) en tant que les arguments sont exprimés clairement, la profusion d'explications intermédiaires complique souvent la compréhension et place donc ce dialogue dans une difficulté moyenne, demandant au lecteur une concentration constante et soutenue.
C'est finalement, à travers une ébauche purement abstraite de la société idéale selon Platon, que ce dernier défend la fonction du philosophe, et par extension la vieillesse, pour justifier sa place dans la société. N'est-ce là qu'un heureux hasard si l'œuvre s'ouvre par un éloge de la vieillesse ? Nous ne saurions douter de la nature conservatrice de Platon : la religion, la loi, la famille, la vieillesse sont toutes quatre mises au premier plan sans jamais être éprouvées, assurant de fait leur prééminence axiomatique. Cela nous offre par conséquent la première incohérence dans la constitution du meilleur État. Il est évident que celui qui ne questionne pas toutes les strates de la société est incapable de le trouver. Par ailleurs, dans La République, l'État que propose Platon est formé d'une telle grossièreté qu'il ne saurait souffrir la qualification d'utopique.
Quelle est la nécessité de cette dichotomie entre les individus d'or et d'argent et ceux de bronze et de fer ? N'est-elle pas le fruit d'un esprit malade luttant de tout son possible contre le mérite ? Car le moyen que ces êtres infériorisés ne se laissent corrompre par un ennemi pour organiser la sédition dans un tel État ? D'autre part, pourquoi le guerrier ne devrait-il pas apprendre l'agriculture, le commerce et tous les métiers industrieux, l'homme polyvalent ne vaut-il pas infiniment plus que celui qui n'a qu'une fonction ? Il est guère étonnant de trouver chez Platon un mépris du bas peuple et de ses activités, étant lui-même issu d'une famille aristocratique.
Si nous reconnaissons avec lui l'utilité essentielle de l'enseignement des mathématiques, de la littérature, de la gymnastique et de la musique, nous nous choquons de sa volonté de censure artistique ; est-ce donc là l'esprit d'un philosophe ? Cela constitue une preuve supplémentaire de l'incapacité du philosophe à être utile à la société, si la moindre œuvre en contradiction avec ses vues parvient à corrompre la masse.
La communauté des femmes, des enfants et des biens que Platon souhaite instituer, n'est-elle pas l'illustration de la dégénérescence du vieillard à travers l'évanouissement de l'amour ? « Sophocle, l’âge te permet-il encore de te livrer aux plaisirs de l’amour ? Tais-toi, mon cher, répondit-il ; j’ai quitté l’amour avec joie comme on quitte un maître furieux et intraitable. » Il est assuré que la passion étant le moteur de la raison, un esprit prétendument délivré de la passion sera d'autant plus fou que celui qui la laissera gouverner.
Il est encore mille autres incohérences dans cette œuvre, comme le mensonge nécessaire (livre III), pour nous prouver l'ineptie d'un tel gouvernement. Le dernier qu'on mentionnera sera le figisme absolu dans lequel serait bloquée l'utopie platonicienne. Puisque le philosophe-roi n'aura pas reçu la même éducation que ses sujets, n'y aura-t-il pas un décalage évident entre ces deux modes d'éducation, où ces derniers seraient enclins à modifier la structure de la constitution par leur enseignement philosophique ? Ce à quoi Platon se contente de répondre que les vieux sont les plus sages, qu'il est dès lors insolent d'envisager un meilleur gouvernement que celui que proposerait le philosophe-roi originel.
Outre la médiocrité de l'utopie de Platon, l'étaiement de l'argument philosophique sur la justice, et le Bien en général rehausse le discours et satisfait le lecteur sur ce plan. La description des quatre vertus cardinales, la comparaison entre l'État et l'individu, la distinction entre les divers degrés du monde sensible et intelligible forment l'attrait principal de l'œuvre. Il est cependant fondamental de rester critique à l'égard de ce que nous dit l'auteur en ce que la Vérité restera toujours insaisissable à la raison et qu'il nous faut alors concentrer toute notre énergie à découvrir la seule réalité perceptible.
Je terminerai par dire que Platon n'eut de philosophe que l'apparence, qu'il fut bien plus un sophiste parmi d'autres sophistes, un antisophiste. Ne faudrait-il pas jusqu'à aller le traiter de philodoxe à cause de sa relation avec les traditions citées plus haut ? Le philosophe est par essence nihiliste, il s'autodétruit à la suite de sa recherche pour dépasser la philosophie et la transcender en science, tant il est évident que le philosophe ne produit que des opinions.