La révolte des élites et la trahison de la démocratie par Fabrizio_Salina

La révolte des élites est une sorte de récapitulatif que Lasch met en ordre quelques mois avant sa mort en 1994. Cet essai ressemble fort à une sorte de book review d’auteurs américains sur des questions d’éducation, de projet civique américain et même de psychanalyse. On y croise Horace Mann, fondateur de l’éducation humaniste et ambitieuse des jeunes américains, le pédagogue John Dewey, le démagogue Walter Lippmann (et accessoirement libéral), jusqu’à Lawrence Frank ou Philipp Rieff. Ces noms ne vous disent peut-être rien mais ils sont essentiels au projet de Lasch.
A la fin de sa vie, l’auteur anti-libéral évacue les scories et les préoccupations annexes pour synthétiser la question qui est au cœur de son travail : Qu’est devenue la vie civique Américaine ? Est-ce qu’une démocratie telle que l’ont rêvée les fondateurs est seulement envisageable ?
Le libéralisme, l’argent, la psychanalyse, la promotion de la modernité et du progrès sont autant de cadenas accrochés à un pont qui menace de s’effondrer.
Dans treize courts chapitres, Lasch balaie les versants politiques, professionnels et académiques du rêve démocratique américain, qu’on ne saurait confondre avec son antagoniste American dream, la réalisation par le travail qui empêche toute cohésion de classe aux Etats-Unis (l’analyse classique d’absence de lutte sociale organisée outre Atlantique).


Lasch part du constat désormais bien connu que la recrudescence illimitée de droits et de libertés individuelles, toutes liées à la détention d’argent notons-le, se fait au prix de cohésion sociale et d'un socle de repères culturels communs. Les tenants de l’accroissement entropique des libertés ne manqueront pas d’objecter que les faits démentent tout à fait cet argument, et que la société n’a pas implosé malgré ce que les haruspices de la trempe de l'auteur lisaient dans le ventre des écrits du XX° siècle.
C’est là que Lasch lance une réponse aussi cinglante qu’un pavé d’antifasciste dans une vitre de l’hôpital Necker : en réalité, la relative cohésion sociale ne s’est maintenue que par héritage des croyances communes qui structuraient la société d’avant la religion du progrès. En réalité c’est le reste des comportements et croyances chrétiens qui ont permis aux individus de s’appliquer la contrainte intérieure nécessaire à un régime de libertés individuelles. Car comme le pointe justement Lasch, et c’est son deuxième enseignement majeur du livre, s’il est souhaitable d’offrir aux membres d’une société la jouissance de libertés et d’occasions d’appliquer son choix, cela suppose un comportement d’autant plus responsable et d'autant plus de maîtrise de soi que les droits des citoyens sont susceptibles de les amener à des conflits chacun dans son bon droit.
Or les croyances issues de l’enseignement scriptural judéo-chrétien, si fermement combattues par les progressistes à la petite semaine, les profanateurs de salon et les intellectuels de tribune post-modernes sont le terreau idéal qui a permis justement à une société plus juste et plus humaine de prospérer, tout en voyant l’idéal qu’elle visait remplacé par le lucre et la manie d’accumulation par ces diseurs de bonne aventure si prompts au subterfuge.


Lasch est pessimiste, car notre socle commun de valeurs (aller j’ai tenté de me retenir d’utiliser ce mot valise toute la critique mais il faut croire que c’était trop) se désagrège plus vite que jamais en ces années 90 où il couche ses pensées, et la perspective d’en retrouver un est fermement entravée par les gardiens du temples, alors même que dans les églises américaines, les pasteurs adoptent le langage para-thérapeutique de la réalisation de soi et de l’accomplissement, en mettant en concurrence le message des évangiles avec les gourous de l’introspection permanente.


Ami lecteur, ne t’attends pas à une vision enthousiasmante (c’est le cas de le dire) et optimiste de l’avenir dans un Lasch. Mais profite de sa sagesse et souviens-toi comme disait Ellul selon cette image admirable, que « la nuit est pour l’âme aussi un repos et un bienfait ».

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le 20 juin 2016

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