Maria Callas aurait eu cent ans le 2 décembre 2023. Passionné de musique autant que d’écriture, Eric-Emmanuel Schmitt nous en dresse un saisissant portrait en creux, au travers de la mémoire malade et jalouse d’une rivale aigrie.
« Cette grosse Grecque avec ses lunettes de myope, mal fagotée, boutonnée, boudinée, flanquée d’un mari sénile » ... Une « illusionniste » masquant à grand peine les stridences et le manque d’homogénéité de sa voix sous « son personnage d’étoile fantasque » ... Ce n’est pas La Tebaldi, dont la polémique a rapporté la supposée rivalité avec La Callas, mais la soprano imaginaire Carlotta Berlumi qui, encore de ce monde, n’en finit plus de honnir celle qui, dans son esprit, lui a volé la gloire de toute la hauteur de son imposture. « La Callas ? Vous verrez : bientôt plus personne ne se souviendra d’elle… », affirmait-elle avec assurance lorsque les deux femmes n’en étaient encore qu’à leurs débuts. Et pourtant, force est de constater que, si l’étoile de l’une n’a rien perdu de son éclat, l’autre en est aujourd'hui réduite à chercher vainement son nom dans les dictionnaires de l’art lyrique. En vérité, aveuglément enfermée dans sa conception classique du chant et de l’opéra, l’orgueilleuse Carlotta n’a dans son déni jamais pris la mesure des bouleversements qu’était en train d’imposer Maria Callas, autant tragédienne que cantatrice, et bientôt icône véritable.
Le procédé narratif ne manque pas de sel, qui, avec en point d’orgue un bien ironique dénouement, finit par battre les détracteurs de la Callas à leur propre tribune. Car il y en eut, aussi passionnés que ses aficionados, occasionnant des disputes à la mesure de l’impact de la diva sur l’art lyrique. Avant de leur clouer le bec en laissant le dernier mot à la voix inoubliable de l’artiste, le récit de toute évidence biaisé par l’échec et la jalousie de l’une de ses contemptrices tourne peu à peu en ridicule ces rumeurs chagrines, au final bien incapables d’écorner l’inaltérable et triomphante figure de la « moderne » cantatrice. Plus l’aigre Carlotta s’enfonce dans son dépit, plus La Callas acquiert d’aura additionnelle. Et c’est là que ce court roman, presque une nouvelle, déçoit : en fait d’antithèse à la hauteur de la diva, la rivale, bientôt ridicule et pitoyable à en friser la stupidité, manque par trop de profondeur pour demeurer tout à fait convaincante.
Au bémol près des aspects les plus caricaturaux de cette bien naïve rivale, reste un livre éminemment agréable qui, à l’occasion de ce prochain centenaire de la naissance de La Callas coïncidant fort opportunément avec l’approche des fêtes de fin d’année, ne manquera pas de garnir le pied de bon nombre de sapins, mélomanes ou non.
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