Tout l'art d'Anna Seghers réside en peu de choses. Plus que tout elle comprend la force d'une bonne métaphore et celle de la septième croix est une des plus littérales et une des plus touchantes.


Si l'on voulait chipoter, on pourrait dire que la plupart de ses romans reposent sur une seule idée, qu'ils s'articulent tous autour d'un concept central qui leur donne leur nerf, leur colonne vertébrale. Et c'est assez vrai. Ses grandes œuvres sont gouvernées par un idée centrale et celle-ci est le plus souvent indiquée dès les premiers chapitres, voire par le titre. Et pourtant c'est de ce qui pourrait sembler une faiblesse que ses romans tirent leur plus grande force.


Pour atteindre le grandiose, il ne faut pas craindre de voisiner le ridicule. Si l'on se contente d'être habile on peut se permettre d'éviter le risque du risible, mais si l'on veut faire dans l'épique, il faut se donner sans réserve et employer des moyens qui pourraient bien se retourner contre vous. Anna Seghers écrit de façon fort classique, mais c'est pour laisser plus de place à la force de son idée directrice, de sa métaphore principale. Et celle-ci est le plus souvent rien moins que brillante: dans Transit, c'est celle de la femme qui cherche désespérément un mort et de l'homme qui a volé l'identité de celui-ci, dans les Morts restent jeunes, c'est celle d'un homme qui ne vieillit pas pour être mis à mort deux fois; sous la guise de la révolution spartakiste en 19 et celle de toute l'Allemagne en 1945; et ici, métaphore la plus évidente peut-être, celle d'un homme qui échappe à la crucifixion qui l'attend dans un camps de concentration.


Ces idées peuvent sembler triviales mais Anna Seghers les anime avec tant de finesse et de vivacité, les habillant d'une pléthore d'intrigues et de personnages secondaires, ne le faisant ressortir qu'avec une légèreté suprême, qu'elles en deviennent irrésistibles. Ce sont elles qui métamorphosent des œuvres déjà fourmillantes d'humanité en manifestes contre la barbarie et l'indifférence, en vibrantes odes à la capacité de l'Homme à la libération.

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le 10 févr. 2016

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