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Le texte :
Philippe Jaenada se livre au même exercice qu’avec la « Petite femelle » qui relatait l’histoire tragique de Pauline Dubuisson accusée d’avoir tué son compagnon avec, à la clef, un procès à charge et une condamnation menée tambour battant et au rythme d’un éléphant lancé au galop. L’exercice est-il vraiment le même ? Sur la forme, oui ; sur le fond, pas du tout.
Par des biais que nous n’aborderons pas ici, Philippe Jaenada s’est penché sur le cas d’Henri Girard, mieux connu sous le nom de plume de Georges Arnaud pour avoir commis « Le salaire de la peur », entre autre. Deux noms et déjà de quoi s’intéresser à cette figure mystérieuse dont la vie semble être coupée en deux, avec un avant et un après (après quoi ? je vais y venir), tout comme son caractère et sa personnalité semblent diamétralement opposées selon les sons de cloche dont on tient compte…
Henri Girard a quitté la France après avoir été acquitté à l’issue du procès qui devait le juger pour le triple meurtre de son père, de sa tante et de la bonne, à coup de serpes, dans le château familial dont les portes semblaient closes de l’intérieur. Il est revenu plus tard sous le nom de Georges Arnaud. Autre nom, autres mœurs, autres temps. Mais alors que tout l’accusait, il est sorti libre de son procès et l’affaire n’a jamais été élucidée.
Dans ce nouveau pavé (mais qui a tout du parfait pavé de rumsteck : servi saignant et accompagné d’une salade, comprenne qui pourra, digne de ce nom, il est on ne peut plus savoureux et digeste), Philippe Jaenada commence par dresser un portrait d’Henri Girard tel, il me semble, qui lui a été donné de l’appréhender à travers ses recherches… tel en tout cas que le procureur a pu le faire lors du procès.
Contrairement à Pauline Dubuisson, celui-ci n’a pas à être à charge à proprement parler, tout allant de toute façon contre Henri Girard : sa personnalité, les faits, les preuves, sa situation personnelle… on ne peut rien retenir pour lui mais tout contre lui. Et pourtant, il est acquitté. La deuxième partie du livre de Philippe Jaenada consiste donc à chercher à comprendre comment un coupable idéal devient un disculpé sous suspicion.
Car si dans le cas de Pauline Dubuisson, Philippe Jaenada avait la certitude d’avoir à faire à une innocente qu’il fallait disculper (non pas dans le sens où elle n’aurait pas tué son compagnon, elle l’a fait, c’est acquis, mais dans le sens où il ne s’agit pas d’un meurtre prémédité, orchestré avec sang-froid), ici, Philippe Jaenada semble convaincu de la culpabilité d’un innocenté… Cruel dilemme que voilà.
Et puis Philippe Jaenada endosse le rôle de dêméleur d’écheveau, de pourfendeur des clichés, de tailleur de vérité. Il émet alors ses hypothèses. Et comme celles-ci viennent après un travail de fourmi d’enquêteur, un travail non moins drastique de narration de la vie, du crime supposé et du procès d’Henri Girard, après avoir épluché tous les documents possibles et imaginables sur le dossier, et parce que le style de Philippe Jaenada fait que tout au long du livre, on a la sensation d’être derrière Henri Girard, de le suivre pas à pas dans sa vie, dans ses moindres faits et gestes, alors, les hypothèses de Philippe Jaenada, qui évite d’être péremptoire en la matière, se font on ne peut plus crédibles, réalistes et se parent des mêmes accents de sincérité et de vérité que le reste de son récit, calé lui au plus près si ce n’est dans les pas de la réalité.
C’est là la force de Philippe Jaenada : on s’énerve, on s’insurge, on réfléchit avec lui, on s’énerve, on s’insurge et on réfléchit comme lui, avec l’impression d’avoir lu tout le dossier par-dessus son épaule, d’avoir vécu avec lui quelques jours dans sa chambre d’hôtel périgourdine, d’avoir lancé avec lui un porte-monnaie et le foulard de sa femme, d’avoir serré dans nos bras les deux bibliothécaires, d’avoir regonflé des pneus de voiture de location, d’avoir suivi Henri Girard, d’avoir été aussi cette petite souris qui a tout vu le soir du triple meurtre et qui a traversé le temps pour rétablir une potentielle vérité qui a tous les accents de la réalité, 75 ans plus tard.
On retrouve aussi avec bonheur les incessantes, innombrables et parfaitement à propos digressions de Philippe Jaenada. Si l’histoire de Pauline Dubuisson était un fait-divers passionnel et ouvrait la voie à des digressions de l’auteur sur sa femme et sur son propre rapport au couple, l’histoire d’Henri Girard est un fait-divers où la filiation et les rapports d’un fils avec son père sont au centre du récit et ouvre donc légitimement et logiquement la voix à des digressions sur le rapport qu’entretient Philippe Jaenada avec son fils, Ernest. Ernest a bien de la chance et bien du courage d’avoir les parents qu’il a…