Le dernier livre de Geneviève Fraisse, centré sur les figures de la citoyenne et de l’artiste, est un recueil de textes passant en revue, dans leur rapport aux femmes, des figures aussi différentes que celles de Poulain de La Barre (qui pensait que l’esprit ne pouvait être sexué et que seul le corps l’était), Sylvain Maréchal (auteur sous la Révolution d’un projet de loi demandant d’interdire l’apprentissage de la lecture aux filles), Nietzsche (qui écrivait que l’universel était inaccessible à la femme, qui ne pouvait parler que d’elle en essayant de parler du monde), Jacques Rancière, Djamila Bouhired et bien d’autres. Elle rappelle que Le Contrat social est un texte fondamental car il brise l’analogie entre le père et le roi, entre les gouvernements civil et domestique. Or la vision de Rousseau n’est anti-patriarcale que pour mieux refuser que l’égalité dans la famille ne fasse écho à l’égalité dans l’Etat. La vulgate progressiste tend à gommer ce hiatus, que l’auteur tient à clarifier : les démocrates, aristotéliciens malgré eux, ont tout fait pour « éluder la contradiction entre dire l’égalité pour tous et résister à l’égalité des sexes. […] La contradiction sera d’autant plus forte que la pensée révolutionnaire sera radicale. »
L’histoire de la cause des femmes est en grande partie selon elle celle d’une série de « contretemps », un obstacle de l’ordre de l’historicité : « Comme si nous n’étions jamais là au bon moment, en retard, ou en avance… et ainsi disqualifiées comme sujets de l’Histoire. » Donnant de nombreux exemples tirés du passé, elle suggère que dans l’avenir, le développement des biopouvoirs, que bien des féministes voient comme un instrument de libération, pourrait aussi jouer ce rôle de contretemps, plus aliénant que véritablement émancipateur. Un livre qui, à défaut de mettre tout le monde d’accord, fait preuve d’une certaine exigence pour préciser les enjeux d’une évolution de la société qui ne se laisse pas réduire aux clichés militants.