Totem et Tabou
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le 4 avr. 2011
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Je pense, malgré ma note, qu'il faut lire La société du spectacle, non pas pour y apprendre quelque chose de sympa, qui pourrait nous faire évoluer spécialement, mais bien pour comprendre pourquoi un style obscur et volontairement complexe peut détruire tout un discours, le rendant presque abscons, alors que la volonté affichée de Debord est d'apprendre aux gens, surtout des classes populaires, à s'émanciper de cette fameuse société du spectacle.
Seulement voilà. Soyons d'accord, en dehors de pas mal de libertariens surtout devenus libéraux-lolicon aujourd'hui, de complotistes qui ne jurent que par les paroles de leur maître (tout est corrompu) et quelques sympathisants extrême gauche/juste gauche, le bouquin, personne ne l'a lu, et beaucoup de ceux qui l'ont lus l'ont soit mal compris, soit compris mais ne sont pas d'accord avec tout, soit ont réduit le discours du bouquin à: "Des gens contrôlent les médias, la culture est décadente même si je ne m'y intéresse pas et que je ne connais pas la culture antique, et lisez des livres parce que le cinéma et les jeux-vidéos c'est caca." Bravo. Et tout le reste?
La pensée de Debord, si l'on enlève tout le côté obscur de son style, est assez vertigineux: tout serait spectacle puisque, si je suit son raisonnement, tout est représentation. L'on s'identifie à tout, à nos parents, des précepteurs, des écrivains, des stars. Alors oui, ce genre d'idéalisation de l'autre peut mener à des dérives (la télé-réalité, l'égocentrisme...) MAIS. On dirait que, selon Debord, il n'y a pas de point positif à une éventuelle admiration pour une forme de représentation. Alors, ok, lorsque celle-ci est intimement donnée par les puissances dominantes, ça craint, c'est aussi un moyen de mépriser celui qui "n'a pas réussi" selon les dogmes en vigueurs. Quid du développement personnel à travers des personnes d'identités et de pensées qui peuvent être différentes, en ayant un certain libre-arbitre? Oui, la pensée et l'enseignement sont dictés par le pouvoir, mais cela n'empêche pas d'avoir un regard critique sur tout ça, de dire non, ou en tout cas d'y réfléchir (enfin, presque.)
Tout est, selon Debord, dirigé par le système dominant, le capitalisme ! Ce qui n'est évidemment pas faux. Le seul soucis est de s'affranchir de son influence dans tout les domaines qu'il contrôle (historique, marchand, culturel) afin de pouvoir se sortir de la société du spectacle, d'une société crée de toutes pièces par ce système. Ok, on est d'accord sur ce point. Seulement, j'ai une petite critique:
-Quoi qu'il arrive, Jean-Michel contre la société du spectacle finira toujours par foutre son cerveau dans les mains d'un autre maître, que celui-ci soit Debord lui même ou un autre type. Donc, il sera toujours connecté et pris dans une spirale de domination de son esprit et de sa façon d'agir. Donc, quoi qu'il en soit, Jean-Michel, si on ne le forme pas à s'affranchir d'une quelconque domination quel que soit le système, restera un serviteur au service d'un ou plusieurs maîtres. Il vivra par procuration, par son maître, qui n'est pas obligé d'être ceux qui tiennent les rennes du capitalisme, encore une fois, tout le monde peut être maître pour peut qu'il se débrouille suffisamment bien (suivre mon regard vers toute forme de secte)
Guy Debord ne donne pas toujours des exemples, le moment où ce fut le cas et que j'en ai pris conscience étant la fin de la partie IV du bouquin, partie qui pour le reste était pleine de bullshit qui partait dans tout les sens sur le prolétariat et son organisation. Encore une fois, la partie sur la bureaucratie russe sauvait cette partie.
En fait, mon problème avec La société du spectacle est que je n'ai pas encore cité, c'est finalement tout ce qui touche à ce que j'ai aimé dans ce livre: j'ai souvent l'impression que notre Guy adoré enfonçait surtout des portes ouvertes: Oui les stars sont déifiés et on nous les montre comme marque de réussite pour que les gens se sentent être des moins que rien, oui le système contrôle l'histoire selon leur point de vue (la fameuse "l'histoire est écrite par les vainqueurs") la culture, en décrétant ce qui est bon ou pas, et fait semblant de réunir les gens derrière la télé en leur passant des programmes débiles qui, comme tout dans leur vie lorsque tout va trop vite, leurs permettent de manger aussi toujours plus de pubs, pour consommer dans leurs temps libres des choses futiles et qui ne seront plus d'actualité dans pas long (cf. Apple et tout ses pigeons qui achètent un iPhone par an) oui, la société de consommation c'est mal et oui Debord était en avance sur son temps, mais je vois tellement de gens se pensant plus intelligent que les autres citer ce bouquin abondamment alors que la pensée vertigineuse de Debord me fait me dire qu'on à moyen d'être pessimiste de ouf si l'on se dit que "tout est spectacle" mais aussi qu'à part complexifier les choses pour se rendre intéressant, Debord ne sait que marteler que la société du spectacle parce qu'il savait que l'écriture pub avait moyen de nuire à la société du spectacle.
Mais bordel. Je veux bien que l'on vire tout ce qui est le cancer de nos sociétés modernes, mais tout n'est justement pas à jeter dans nos sociétés, ça n'est pas parce que tout est spectacle que ça ne permet pas aux gens aussi d'évoluer personnellement par le spectacle, quitte à s'en détacher après.
Et surtout, ce qui me gêne dans le discours de Debord, c'est que non, tu n'as pas la science infuse, et si je suit son raisonnement, il fait lui même parti de la société du spectacle car des gens le considèrent comme un Dieu, alors qu'il produit un discours critique sur la société du spectacle tout en utilisant ses manières de faire, le tout en étant édité par folio. La dissidence branchée en somme.
"Je crains l'homme d'un seul livre" disait Saint Thomas d'Aquin. Quand je vois Debord et ses fidèles, je ne peux m'empêcher de penser ça: pauvres gens ayant décidés de s'exclure de la société parce que leur prophète leur a interdit de rester près de la société du spectacle, pour récupérer des gens qui pourraient garder la tête froide et critique sur cette société.
Je reste persuadé qu'il n'y a pas que des cons qui aiment Debord (j'ai des éclaireurs qui ont bons-goûts qui aiment bien ses écrits, donc bon) mais que son discours, s'il est juste sur certains points, me fout le vertige et n'a plus vraiment de sens sur d'autres points, et qu'il ne faut, si l'on veut aussi par cela s'affranchir de la société du spectacle, critiquer du mieux que l'on peut ce que nous décrit Debord, histoire de s'entraîner à démystifier tout kraken pouvant devenir pour le commun des mortels, dominant.
Je reste ouvert à la critique, j'ai peut être manqué des trucs, n'hésitez pas à m'en parler dans les commentaires.
Bisous.
Créée
le 17 févr. 2018
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