Dès les premiers jours, les sentiments étaient que nous n'avions pas seulement perdu la ville, mais la vie entière...
La Supplication rend la parole aux âmes de Tchernobyl, ceux qui ne savent plus vraiment si ils sont vivants ou morts, ces milliers de gens sacrifiés par une bureaucratie soviétique qui signait là sans le savoir vraiment, le début de son épitaphe. Qui sont les coupables ? Une question qui revient souvent et à laquelle la réponse est toujours autant difficile à cerner 10 ans après, au moment ou Alexievitch note tout dans son carnet, à la manière d'une ethnographe, d'un témoin. Celle des scientifiques ? Des hommes politiques ? Ou est-ce là une punition divine envers l'URSS ? Ce qui marque dans ces témoignages, c'est d'une part la vitalité extraordinaire qui ressort de ces souvenirs damnés, mais aussi le travail de conscientisation de "l'homo sovieticus" confronté à la fin de son monde.
C'est que, au delà du lieu, la "Zone" restera la Stèle matérialisée de la souffrance que peut provoquer un système que l'on croit immuable, sûr. Il suffit de revoir ces images d'archives de Tchernobyl, celle des enfants sur les tricycles roulant à côté des parterres de fleurs, sur les plongeoirs de la fameuse piscine de Pripyat, tous ces destins dont on aimerait avoir des nouvelles, mais qui restent avant tout les spectres en mouvement d'une capsule temporelle qui laisse un goût amer en bouche, et plusieurs questionnements... Celui de notre mode de vie, du progrès technique, des empires qui chutent de notre humanité même.
La Supplication de Svetlana Alexievitch est bien plus qu'un recueil de témoignages qui touche au plus profond de chaque être, c'est une fresque éclairante, éclatante, à l'image d'un phare en mer, compagnon attentionné, qui nous prévient des limites à ne pas franchir.