La Supplication par Nanash
Grâce aux Abdaloff de la Salle 101, j'accumule bien trop de romans dans ma liste d'envie. Après avoir conté les louanges du dernier roman de Svetlana Alexievitch j'entends que son chef d'œuvre est "La Supplication" je tique et décide de m'y lancer. C'est donc seulement avec la promesse d'un livre marquant que je me lance dans cette histoire orale de la catastrophe de Tchernobyl et surtout des êtres humains y ayant pris part.
Ce n'est donc pas un roman que la journaliste Biélorusse propose mais un recueil de témoignages de personnes rencontrées quelques années après l'accident nucléaire. Le livre s'articule autour de trois parties censées présenter trois aspects différents de l'impact de cet événement sur la vie des gens. Pour être honnête je n'arrive toujours pas à posteriori à comprendre ce découpage, mais peu importe. Le livre s'ouvre et se ferme par des témoignages dont les héros, difficile de ne pas utiliser ce terme, sont des couples. Je ne saurai l'expliquer mais malgré l’horreur des autres témoignages, ce sont ces deux histoires qui m'ont pris à la gorge.
Jamais je n’aurai pensé que malgré ce sujet et la façon sans aucun artifice de rapporter la parole de ceux qui ont vécu la catastrophe, un texte pouvait me retourner autant. Certes, je lis quasi exclusivement de la fiction et donc un sujet du réel ne pouvait qu'être plus prenant et poignant, mais à ce point ! J'ai été physiquement touché par ce texte, certains passages m'ont donné des hauts le cœur et j'ai dû prendre une respiration entre chaque phrase. Mais j'ai eu le sentiment idiot que je le devais aux Ukrainiens et Biélorusses qui se sont ouverts à l'auteur, pour que cela serve à quelque chose.
Au delà de ce que l'on ressent lors de sa lecture, ce livre nous éclaire aussi beaucoup sur ce que ça veut dire d'être né en URSS, quel est le schéma de réflexion imposé aux gens. A de nombreux moments dans le texte, les survivants montrent que les peuples de l'Est ont été capables de prendre un recul inimaginable sur ce qui leur arrivait et ce qu'on leur disait. N'ayant pas vécu ni l'explosion du réacteur, ni la période soviétique, j'ai découvert un esprit slave, emprunt de fatalisme, où le parallèle avec la seconde guerre mondiale est omniprésent, comme si le pouvoir ne leur avait jamais fait profiter de la victoire ne serait-ce que quelques semaines. Un fatalisme qui peut amener à des sacrifices conscients ou pas qui auraient pu être évités.
Et puis le recueil est truffé de toutes ces situations incroyables et terrifiantes qui montrent la complète méconnaissance des dangers des radiations et toutes les vérités tues ou travesties. Que faire du bétail irradié ? Que faire des animaux domestiques ? Doit-on fournir des dosimètres aux liquidateurs ? Pourquoi ne puis-je pas manger les pommes de terre du champ ? Certains fuient la zone, d'autres s'y installent ? La diversité des témoignages le montre, la gestion de cette crise a été un fiasco du début à la fin et dans les moindres détails.
D'une rare dureté, un bouquin que devraient lire les défenseurs inflexibles du nucléaire. 9/10