Le 26 avril 1986 a eu lieu une catastrophe nucléaire sans précédent. La centrale de Tchernobyl se trouvait dans ce qui était à l’époque la république socialiste soviétique d’Ukraine, en URSS. Elle est devenue l’emblème d’une tragédie humaine, écologique, sanitaire, économique et politique et aura eu des répercussions peut-être pas encore toutes établies.
Si nous savons à peu près tout sur ce qui est survenu à la centrale, et cela malgré les mensonges et les secrets dont l’événement est entouré, les conséquences sur ceux qui ont vécu ces instants, en ont été les témoins, les acteurs et les victimes sont restées assez longtemps inconnues.
Dans ce livre magistral, paru dix ans après la catastrophe, Svetlana Alexievitch donne la parole à ces hommes et femmes qui étaient au cœur du drame. Elle a recueilli les témoignages précieux de ceux qui ont vécu ce moment. Peur, inconscience, incrédulité, courage, rejet, culpabilité, incompréhension, colère, résignation... chacun a vécu différemment ces instants. Mais chaque témoignage est bouleversant, dressant le portrait d’un peuple sacrifié au secret et à la raison d’état.
Le drame de Tchernobyl et les voix que Svetlana Alexievitch nous donne à entendre décrivent avant tout un pays et une époque encore largement soumis à la guerre froide (le mur de Berlin tombera trois ans après Tchernobyl). Avec toutes les conséquences que cela engendre de désinformation et de mensonges.
Svetlana Alexievitch a mené un véritable travail journalistique, allant chercher des scientifiques, des habitants évacués, des liquidateurs (en charge de « nettoyer » les abords de la centrale et les villes et villages autour), des parents d’enfants malades, des chercheurs, des médecins, des familles de pompiers... Toute une population victime d’une mauvaise foi et d’un aveuglement forcenés.
Comment ne pas être révolté quand on apprend que les populations ont continué à se nourrir de ce qui sortait de cette terre contaminée ? Que des hommes ont été envoyés sans protection dans des zones dont l’irradiation était telle que les dosimètres ne pouvaient même pas la mesurer ?
Même si depuis plus de trente ans que cette catastrophe a eu lieu, des paroles se sont libérées, le livre de Svetlana Alexievitch lu aujourd’hui donne une intensité incroyable à toutes ces voix qui ont été étouffées. On sent à travers ces pages et la qualité de l’écriture de l’auteure toute l’attention et la proximité qu’elle a pu entretenir avec ses interlocuteurs.
Ce livre donne une dimension humaine à un drame contemporain dont on a l’impression que tout a été fait pour justement le déshumaniser et le réduire à des proportions uniquement techniques et technologiques. Il redonne sa vraie densité à une tragédie qui n’a probablement pas fini d’avoir des retombées, d’autant que le site de Tchernobyl est loin d’être assaini et que d’autres catastrophes ne sont peut-être pas inévitables.