Christelle Dabos a été livrée à elle-même, complètement abandonnée.
Voilà ce que je pense de la façon dont a été gérée la fin de cette saga. Pire, j'ai l'impression que c'est toute la saga qui a été gérée de la sorte.
A-t-elle été relue?
A-t-elle été conseillée?
A la lecture de ses livres, j'ai l'impression d'une absence totale d'implication de la maison d'édition.
Une saga littéraire est un projet industriel, il est donc mené comme tel : l'architecte-auteur n'est pas seul. Il est secondé par un staff qui le soutient, le conseille, catalyse ses idées pour en tirer le meilleur, lit et relit ses productions, le remet sur les bons rails lorsqu'il se disperse, élague, simplifie, rationalise, bref, "produit" l'oeuvre.
C'est trop facile d'abandonner un auteur devant sa feuille blanche en lui tapant dans le dos sur l'air du "à la prochaine!". Un auteur, surtout un jeune auteur, doit être staffé. Christelle Dabos a été ABANDONNEE.
Et si on vient me dire que je me trompe, alors je reformule : elle a été staffée par des nuls.
Maintenant, j'argumente (sans spoil, promis-juré) :
-Les personnages : il y a trop de personnages, et, surtout, ils ne sont pas exploités de façon homogène. Quand on voit qu'on s'attache dans les deux premiers tomes à toute une galerie de personnages qui sont oubliés dans les deux suivants, on se dit qu'il y a un problème. Est-ce la faute d'une jeune autrice enthousiaste et passionnée? Non. Est-ce la faute de professionnels de l’édition expérimentés et rompus aux productions littéraires jeunesse post-Harry Potter? Bah voui.
-Le problème du troisième tome : C'est une rupture narrative majeure. il se déroule plusieurs années après le tome 2, il renouvelle trop de personnages, et il annule toute l'évolution qu'a eu l'héroïne. En terme de construction du personnage principal, on repart de zéro. Le lecteur est complètement perdu, il se braque, et dans sa construction mentale, ce tome n'existe tout simplement pas. Du coup, le tome quatre démarre d'emblée plombé. La maison d'édition ne pouvait pas corriger le tir? Elle ne pouvait pas reprendre en profondeur ce troisième tome avant qu'il ne soit publié?
-Le quatrième tome : C'est la suite directe du tome trois-le-mal-aimé qui doit clore l'histoire... Et vu que les lecteurs ont oublié ce qui s'est passé dans ce tome, celui-ci n'est pas soutenu, c'est comme s'il s'appuyait sur du vent. Personnellement, j'ai eu l'impression que toutes les interventions des personnages issus du tome trois sonnaient faux, et tous les arcs narratifs issus du tome trois étaient incongrus, je n'ai pas compté le nombre de fois où je me suis dit "c'est qui celui-là?" ou "mais c'est quoi ce truc?". Encore, si ce n'était que ça, mais le choix de sous-exploiter tous les personnages des tomes un et deux donne une impression de gâchis. Là encore, personne n'a aidé l'autrice? L'éditeur n'est pas en capacité de l'orienter intelligemment vers des développements de personnages plus cohérents et logiques? Souvenez-vous de Tchekhov : « Si, dans le premier acte vous avez accroché un fusil sur le mur, alors dans le suivant, il devrait être utilisé. Autrement, n'en mettez pas là. » On peut appliquer cette remarque à tous les personnages du début de la saga. L'éditeur n'est pas capable de conseiller l'autrice en ce sens? Non, par contre il nous glisse le fusil de Renard, histoire de se foutre de notre gueule...
-L'écriture. C'est le point le plus gênant pour moi. On le remarquait déjà dans le début de la saga, mais c'était un premier roman, et puis il y avait des trucs sympas comme les chapitres courts et les flashbacks en aveugle de l'enfance des Esprits de Famille. Là, c'en devient tout de même assez grave lorsqu'on se rend compte qu'un premier roman est mieux écrit qu'un quatrième... Les fins de chapitres se terminent sur des cliffhangers assez bateaux, les raisonnements de l'héroïne sont tous fulgurants, les descriptions, l'ambiance, la mise en place m'ont parus négligés... Bref, j'ai eu l'impression de lire une fanfiction. Généreuse, inventive, enthousiaste, mais une fancfiction quand même. A croire que Christelle Dabos a été livrée à elle-même, pas tutorée, pas encadrée. L'écriture est un métier (moi, par exemple, je suis plombier), mais l'édition aussi, et, vous aurez compris mon leitmotiv : la Maison d'édition n'a pas fait le sien.
J'espère que vous aurez compris que toute ma sympathie se porte vers Christelle Dabos qui a sorti de sa tête un univers enthousiasmant et fort gracieux. Tous les défauts que je pointe sont des erreurs de jeunesse et justement, des preuves de l'implication de l'autrice dans son univers, sa volonté de nous le faire découvrir, sa motivation à nous le faire comprendre dans ses moindres détails. Bref, Christelle pèche par générosité et envie de bien faire. Je ne critique pas non plus l'Histoire, les évènements ni les destinés des personnages, je respecte le travail de conception de l'autrice.
Je suis par contre totalement scandalisé par l'absence de professionnalisme des cadres de la maison Gallimard. Ils ont sorti les bouquins, ils ont fait du pognon, ils ont investi un minimum, et ont empêché de faire de la Passe-Miroir une œuvre littéraire mémorable. C'est scandaleux.