Le recueil "Stories of your life and others" regroupe l'intégrale des nouvelles d'un auteur qui n'a fait que du format court. Ça ne fait que 400 pages...
Ouais, c'est sûr que Ted Chiang n'est pas prolifique, mais ses histoires ont toutes un réel intérêt.
Ted Chiang est difficile à classer au rayon SF puisqu'il n'est ni dans l'utopie / la dystopie morale (1984, Le meilleur des Mondes...) ; il n'est pas non plus dans la veine Space Opera (Dune...) et il ne chasse pas non plus sur le terrain de la Hard Science Fiction (quoi que...) ou encore la nouvelle à chute (Asimov).
En fait, Chiang reprend quasi systématiquement le même schéma pour chaque nouvellen à savoir créer un paradigme (exemple qui ne spoile pas puisque c'est sur la quatrième de couverture : 1 monde où la tour de Babel a atteint la voûte céleste, une vraie paroi matérielle) et va chercher dans nos connaissances scientifiques actuelles les plus pointues les ressorts narratifs et éléments qui peuvent structurer, renforcer et mettre en perspective le paradigme.
Concrètement, l'auteur décrit l'intelligence en marche. C'est ce qui rend sa lecture si agréable : les histoires sont malignes, le style assez pauvre, les personnages pas terrible... Mais il est délicieux de faire suivre à son cerveau les chemins que trace Ted Chiang. La formule marche d'autant mieux que le principe de départ de chaque nouvelle (le référent ou le paradigme sont des mots mieux choisis) sont en général exposé dès les premières lignes mais incompréhensibles avant quelques pages. Le lecteur se trouve ainsi dans la position du passager dans une voiture qui voit le monde bouger autour de lui mais qui a besoin d'un certain temps avant de comprendre que c’est lui même qui est en déplacement.
Du coup, nul besoin de créer des chutes et twists impressionnants puisque les histoires sont pleines de révélations et de gourmandises pour l'intelligence et, tout comme un raisonnement, fonctionne dans la montée en puissance et non dans la brusque mise en lumière. Ainsi ses meilleures conclusions sont des phrases récapitulatives et sentencieuses, tout comme la dernière phrase d'un bouquin de Houellebecq.
Ainsi les histoires traitent presque toutes de l’existence de Dieu ou de la nécessité de la création. Dans ce contexte, c'est l'intelligence de l'auteur et du lecteur (l'un sans l'autre ne sert à rien) qui justement permettent de donner du sens au Monde (le créer donc), donner vie au Paradigme comme on perpétue l'espèce à l'aide d'épithètes Kabbalistiques dans "72 lettres".
La curiosité et la pertinence scientifique est là en arrière plan et sur des sujets très différents les uns des autres (informatique, biologie, optique, physique, sciences cognitives, sciences du langage, théologie...) mais pas bling bling pour un sou.
Pour être honnête le résultat reste inégal (mais quel recueil de nouvelles ne l'est pas ?) ainsi les 2 titres phares "La tour..." et l'histoire de visitations d'anges sont vraiment intéressantes mais n'atteint jamais la beauté de "72 lettres" : la nouvelle qui m'a le plus fasciné de ces dernières années, un texte où dans un univers steampunk uchronique (pendant les guerres prussiennes) l'ordre biologique du monde rejoint un ordre thermodynamique qui trouve sa régulation d’entropie par la Kabbale et les golems...
Tout comme les Golem, Ted Chiang semble manquer de l'épithète de la dextérité : on peut regretter un style un poil trop blanc et des caractères de personnages faibles ou grossiers. Cependant la quête du Nom, même sans résultat reste phénoménale à expérimenter.
Un recueil exceptionnel à se procurer d'urgence.