Ah on peut dire que Baudrillard creuse là où ça fait mal - creuse parce que ça fait mal ? Il y a en lui comme un reste de romantisme, une fascination assumée pour le sublime du solitaire dressé sur son rocher, face aux tempêtes.
Comment imaginer que ce texte a plus de vingt ans, qui semble décrire notre triste Occident perdu au confins du Vide qu'il a voulu de toutes ses forces. La thèse qui voudrait faire de Baudrillard un visionnaire est un peu trop simpliste, et expulserait trop vite l'autre face du problème : tout était en germe depuis longtemps déjà, rien n'arrive par hasard ou par accident, il suffisait juste de dévider la chaine, la longue chaine que l'homme occidental s'est patiemment tressée depuis des siècles pour pouvoir se la passer autour du cou.
Mais le romantisme de Baudrillard est nourri d'un appétit et d'une jubilation du pire qui le pousse à hurler aux flots déchainés - même s'il ne risque pas d'être entendu - tout ce qu'il pense d'eux, et à quel point leur indifférence l'indiffère. C'est un romantique d'une espèce bien particulière, un romantique combatif pour qui perdre n'a jamais été une bonne raison de ne pas lutter, bien au contraire. Il semble convaincu d'une règle simple, incompréhensible, inexplicable, et par là même souveraine : tout système qui clame trop fort sa vertu et recherche partout le Positif comporte son propre poison qui le tuera. Et c'est tant mieux, car cette mort inévitable est la seule façon d'éviter une Catastrophe encore pire : la dissolution dans le Rien. C'est à débusquer ce poison, le mettre à jour, et le faire boire jusqu'à la lie qu'il a consacré toute ses forces. Par simple sens du devoir, sans aucun espoir de succès, puisque à ce petit jeu il ne pourra y avoir de gagnants. Comme il disait si bien "le monde est un piège qui fonctionne parfaitement", mais lui au moins il le savait.