J'ai énormément apprécié la trilogie de Wielstadt, certainement initialement publiée en trois tomes successifs, mais que j'ai lue d'une traite. Car si chacun des trois romans possède sa propre intrigue, l'ensemble forme un tout cohérent où l'on retrouve (et suit l'évolution) des mêmes personnages, dans un cadre unique : la ville de Wielstadt.
Cette trilogie est avant tout à mon sens une uchronie remarquablement bien construite et maitrisée. Uchronie historique d'abord, parce qu'à partir d'événements historiques d'ailleurs généralement méconnus (les premières années de la guerre de trente ans qui dévasta l'Allemagne au début du 17ième siècle), Pierre Pevel y introduit des distorsions, la plus marquante étant la présence de l'ordre des Templiers, qui est parvenu - dans son scénario - à survivre à sa dissolution en 1392 et à se réimplanter en Allemagne. Uchronie géographique également, puisque Wielstadt est située à l'embouchure du Rhin, au bord de la Rhein See, bras de mer imaginaire qui est apparu suite à l'engloutissement d'une partie du territoire des Pays-Bas. Et dans les deux cas, faits imaginaires et réels sont si étroitement entremêlés qu'il est impossible de les distinguer à la seule lecture du livre, qui comporte d'ailleurs plusieurs chapitres d'explications historiques, dont certaines sont bien entendu inventées.
La trilogie est construite autour de deux personnages principaux : la ville de Wielstadt et le chevalier Kantz. Concernant la première, l'auteur restitue remarquablement bien l'atmosphère d'une ville de l'époque, même si certains pourraient trouver que cela donne lieu à quelques longueurs. Pour ma part, j'ai beaucoup aimé.
Pour le second, Pevel nous campe un personnage de paladin, pieux et ardent défenseur du bien, mais qui est rongé par le doute et la culpabilité, cela de plus en plus au fur et à mesure que le malheur s'abat sur la ville et son entourage. On a donc affaire à un type de personnage tout à fait différent de la crapule astucieuse chère par exemple à Jaworski ou à Cerutti, mais avec tout autant de consistance. La fin de la trilogie nous révèlera quelle était sa destinée.
De plus, Kantz est entouré d'une excellente galerie de personnages secondaires, bons ou mauvais, humains ou non. Citons dans le désordre et sans exhaustivité un faune tenancier d'auberge et amateur de potins, une fée-demoiselle, les grands maitres de sociétés secrètes diverses, un spadassin sadique, un libraire-imprimeur et son chef d'atelier nain et écossais, un polémiste sans le sou, un spectre qui revient chercher réparation, le chef du guet de Wielstadt, divers templiers, des démons, le roi misère caïd de la pègre de Wielstadt et sa fille, une mystérieuse dame en rouge, un dragon à l'interventionnisme limité, etc. On suit avec plaisir, mais aussi parfois avec quelque effroi, les tribulations de ces personnages tout au long de la trilogie.
Bref, une belle plume, (Pevel a fait une prépa littéraire et ça se voit), personnages bien campés, imagination mais aussi rigueur historique, fantastique parfaitement inséré dans le scénario, action (la trilogie est aussi un roman de cape et d'épée) : tout y est, il ne manque rien.