La Valse aux adieux se déroule en cinq journées consécutives, qui constituent les cinq parties du roman. Cinq parties, comme les cinq actes d'une pièce de théâtre. Une tragi-comédie, en l'occurrence.
De la comédie, Kundera a retenu l'intrigue traditionnelle du vaudeville, le triangle amoureux mari-femme-maîtresse. Le mari, c'est Klima, trompettiste de jazz qui est une star dans son pays (le pays n'est jamais cité, de même que le nom de la ville où se déroule l'action ; on sait juste que c'est une République Socialiste). Il est follement amoureux de sa femme, Kamila. Et pour se le prouver, il la trompe régulièrement, comme il se doit. Or, une de ces liaisons d'un soir, Ruzéna, le contacte deux mois plus tard pour lui dire qu'elle est enceinte.
Et voilà abordé, dès les premières lignes du roman, l'un des sujets principaux : la relation parents-enfants. Il y a Klima, père malgré lui ; il y a Bertlef, le riche Américain à la santé plus fragile qu'il ne le pense, et qui se dit père comblé ; il y a Jakub, qui a toujours refusé de donner la vie, pour des raisons politiques ; il y a le père de Ruzéna, qui chasse les chiens errants ; il y a le docteur Skreta qui veut se faire adopter ; il y a les fautes des parents qui retombent sur les enfants, et inversement ; et l'ensemble se situe dans une ville thermale qui est réputée pour soigner la stérilité féminine (d'une façon très particulière, comme on le découvre au fil du roman).
De la comédie, le roman de Kundera a également conservé une écriture très légère, où le narrateur n'hésite pas à interpeller directement le lecteur. Une écriture qui rend le livre particulièrement facile à lire.
Tellement facile que l'on pourrait même aisément passer à côté de l'essentiel. La Valse aux adieux est un roman tragique. Tragique, parce que les personnages vont se rendre compte, à des degrés divers, de l'inutilité de leur existence. Le monde est totalement vide de sens. Amenés, à différents moments, à réfléchir sur leur vie, les personnages comprennent que la vie humaine n'a aucun sens, aucune utilité. Nous ne sommes rien, l'existence ne sert à rien et ne laisse aucune trace.
Du coup, si la vie n'a aucun sens et aucun but, alors c'est toute la morale qui disparaît. Klima ou Jakub, placés l'un comme l'autre face à leurs responsabilités, refusent catégoriquement de les assumer. Et rien ne les y oblige. La morale comme absolu n'existe pas. Pour Klima, être reconnu comme père ou être accusé de meurtre, c'est la même chose. Jakub, lui, n'hésite pas à dire que, dans les grandes purges qu'ont connues les Républiques Socialistes, les persécutés sont aussi coupables que les persécuteurs.
La seule morale qui existe, c'est celle que l'on se donne nous-mêmes, que l'on s'impose personnellement. Et chacun ne fait que suivre la morale qui l'arrange le plus...
C'est en cela que le thème des enfants rencontre autant d'importance. Avoir un enfant, c'est être obligé d'assumer des responsabilités. Or, le monde de la légèreté est aussi celui de l'immaturité. C'est le monde où on ne s'engage jamais, où il n'y a aucune attache, aucun lien avec rien ni personne.
Confrontés à ce qu'un roman ultérieur de Kundera (le plus célèbre) appellera L'Insoutenable Légèreté de l'Être, c'est-à-dire cette absence complète de sens et de but de l'existence, cette inutilité de la vie, les personnages cherchent à avoir plus de poids. Ils essaient de se convaincre qu'ils ont de l'importance, qu'ils comptent vraiment, au moins pour leur entourage propre. C'est là que l'on a besoin des autres : on cherche notre importance dans le regard des autres. Ce sont les autres qui nous donnent de la pesanteur. Ruzéna se rend compte que Klima, lorsqu'elle ne pense pas vraiment à lui, n'a pas plus d'épaisseur qu'une affiche. Ce n'est que lorsqu'elle le met au centre de ses pensées que le trompettiste prend chair. Et c'est exactement ce que cherchent nos personnages.
C'est à cela que sert l'amour. Si nos personnages cherchent l'amour, ce n'est pas pour l'idéal romantique du sentiment qui nous élève. Ça, c'est bon pour les romans. Non, l'amour n'a d'intérêt que par l'image que ça nous renvoie de nous-mêmes. L'amour est parfaitement égoïste, dans ce sens qu'il nous convainc (ou tente de le faire) que nous sommes importants. Loin d'être un sentiment désintéressé et altruiste, c'est au contraire le plus égoïste de tous.
Là où l'ironie de Kundera est terrible (et c'est un roman incroyablement ironique), c'est que ce que l'on croit trouver dans le regard des autres est une erreur de lecture. Le changement constant de point de vue narratif, qui se partage rapidement entre les différents personnages principaux, montre bien que l'on se trompe toujours sur les autres. On se trompe sur leurs intentions, sur leurs sentiments. Ce que l'on lit dans les autres, c'est ce que l'on y met nous-mêmes.
Incapables de comprendre les autres (et d'ailleurs, cherche-t-on vraiment à les comprendre, ou seulement à les utiliser?), les personnages se retrouvent alors dans la pire des situation : le face-à-face avec soi-même. Avec sa conscience. Et le poids que l'on veut bien lui donner.
Roman faussement léger, comédie grave et tragédie légère en même temps, La Valse au Adieux est d'autant plus tragique qu'elle est privée de ce qui fait l'essence même de la tragédie, la Fatalité. Dans ce monde sans immanence, même la Fatalité permettrait d'avoir plus de poids. Une Fatalité nous transformerait en héros, alors que, sans cela, nous ne sommes que des êtres en état d'apesanteur morale.