Cela fait plusieurs mois que je me prends de passion pour la ruralité, en quête moi-même d'enracinement et curieux de connaître ce qui fit la vie de mes ancêtres. Après quelques livres de Vincenot, je suis tombé par hasard sur ce petit livre (merci Amazon, parfois tes recommandations ont du bon).
L'auteur nous transmet le témoignage d'un vieux paysan (son voisin) qui a traversé une bonne partie du XIXe siècle et nous donne à voir, la vie d'un paysan, sans rien cacher, sans rien idéaliser, et sans faire dans le misérabilisme à la Zola.
Nous suivons alors toute la vie du père Tiennon, métayer, son enfance, ses premiers amours, ses journées, longues et rythmées par la besogne. Et Tiennon, on n'essaye pas d'en faire un héros, on ne cherche pas à en faire une victime; s'il nous est donné à lire ses peines, on n'omet pas non plus ses bassesses, traité sans jugement morale d'ailleurs, et ça j'ai particulièrement apprécié. Pensez donc, dans sa jeunesse il s'est rendu coupable d'un homicide involontaire et n'a jamais avoué (d'ailleurs sa victime, avant son trépas, ne le dénoncera pas), plus une petite histoire d'adultère.
Ce que j'ai également particulièrement apprécié, c'est la description du rapport de force entre les métayers et les propriétaires. Déjà parce que je croyais naïvement avant ce livre que la plupart des paysans étaient propriétaires de leur terre. Et bien dans le Bourbonnais, du moins dans le canton où vécut Tiennon, ce n'était pas le cas. Ceux qui possèdent la terre sont des bourgeois, et forcément les bourgeois, ça se comportent comme tels: sûrs d'eux-mêmes et dominateurs, confits dans leur bon droit et leurs certitudes, tenant leur métayer pour des ouvriers stupides et des humains inférieurs qu'ils méprisent (Tiennon changera souvent de ferme et aura une fois un propriétaire qui, n'ayant pas la mémoire des noms de ses métayers, les nomme "Chose", un peu comme nous dirions "machin" de nos jours). Les anciens seigneurs n'ont pas vraiment disparu... Et les paysans, toujours exploités, ont bien conscience de leur état, se considérant dans certaines circonstances comme des esclaves.
J'ai d'autant plus apprécié cette évocation du rapport de force que l'auteur ne tombe pas dans une diatribe politique qui aurait pris le pas sur le récit. Au contraire, on le sent désabusé de la politique, comme les autres paysans du livre. On nous fait comprendre que les républicains d'un jour, pleins de grands discours sur le progrès social, une fois au pouvoir se montre comme les bourgeois qu'ils ont remplacés (et ne sont pas d'ailleurs autre chose). Vers la fin du livre, on sent cette sympathie pour les idées socialistes qui émergent au début du XXe siècle, mais sans engouement. On se méfie des "partageux".
J'ai apprécié aussi que l'on nous fasse comprendre que l'Histoire se déroule loin des campagnes. Que l'Histoire qu'on nous enseigne à l'école, c'est au final celle de Paris. Les simples, eux, voient leurs fils partir faire leur service militaire ou être appelé pour se battre contre les prussiens. Et la rumeur qui enflent sur ces allemands victorieux, qui seront là d'un jour à l'autre et que l'on imaginent comme des barbares sanguinaires ravageant la campagne. Et finalement, pris dans le dur travail quotidien, on finit par oublier ses inquiétudes pour s'inquiéter de choses vraiment importantes: la météo, la santé des animaux et de la famille. Loin de la capitale, l'Histoire les ignore.
Si j'ai un reproche à faire au livre, c'est de n'avoir pas su rendre le récit plus charnel, malgré quelques passages poétiques (c'est d'ailleurs très bien écrit). Je prends en exemple Vincenot, qui retranscrit à merveille toutes les sensations que l'on peut explorer à la campagne. Malgré cela, La Vie d'un simple à l'avantage de ne pas idéaliser la campagne: la vie y est rustique, difficile, besogneuse, les loisirs rares, on voit peu le reste du monde et on demeure dans son canton toute sa vie (sauf ceux qui feront leur service militaire), et on se fait exploiter par les bourgeois propriétaires ou les escrocs en tout genre qui se servent des paysans et de leur manque d'instruction pour gagner de l'argent sur leur dos.
Bref une bonne surprise pour ce petit livre, et je le recommande pour qui veut un regard honnête sur la vie des petits paysans français et le monde rural du XIXe siècle (probablement les ancêtres de la majorité des français), sans misérabilisme ni romantisme béat.