On connaît souvent la Vie devant soi au moins de nom, pour avoir permis à Gary de devenir le premier (et, si l'Académie Goncourt reste prudente, peut-être le dernier) double lauréat du prix ; on sait aussi cette fameuse exclamation “Ajar, c'est quand même un autre talent !”, qu'aurait prononcée un critique en parlant de Gary ; on a peut-être entendu parler l'incroyable tromperie montée par Gary et un cousin pour couvrir l'identité d'Ajar.
Toutefois, La Vie devant soi mérite aussi la lecture pour ses qualités propres. C'est un roman hilarant d'un bout à l'autre, qui pousse un peu plus loin le talent comique de Gary que ses autres livres ; l'humour y est souvent grinçant, d'autant qu'il est impitoyablement souligné par le style oral, plein de solécismes savoureux. Peut-être n'était-il pas tout à fait possible de rester vraiment émouvant tout en étant aussi drôle : les scènes, poignantes sur le papier, de l'agonie de la figure maternelle du roman, ne m'ont pas touché comme avaient pu le faire leurs homologues de la Promesse de l'aube.
Une citation : « Madame Rosa, quand elle avait toute sa tête, m’avait souvent parlé comment Monsieur Hitler avait fait un Israël juif en Allemagne pour leur donner un foyer et comment ils ont été accueillis dans ce foyer sauf les dents, les os, les vêtements et les souliers en bon état qu’on leur enlevait à cause du gaspillage. Mais je ne voyais pas du tout pourquoi les Allemands allaient être les seuls à s’occuper des juifs et pourquoi ils allaient encore faire des foyers pour eux alors que ça devait être chacun son tour et tous les peuples devaient faire des sacrifices. »