Enfant chéri et seul dans un monde d'adultes, Jaromil vit une enfance tournée toute entière vers la séduction des grandes personnes qui l'entourent. Il imite, répète, et babille, donnant à chacun ce qu'il désire, encouragé par une mère qui l'adule. Mais surtout, il écrit. Sur les murs de sa chambre ses propres mots d'enfant s'affichent et lui font un cocon grisant. Le poète est né.
Le père du poète n'a jamais fait partie de sa vie, mais Jaromil fréquente le peintre, qui aime ses poèmes et exalte chez lui son désir de rompre avec le monde existant, le poussant vers le communisme et la révolution. Persuadé que tout doit être grand ou ne pas être, à commencer par lui, Jaromil s'impatiente. Il voudrait que tous le regardent, mais le poète est misérable. Il voudrait rencontrer une femme, mais le poète est maladroit. Il croit au grand amour, il croit que seul un amour absolu peut être appelé amour, lui qui est né d'une simple erreur charnelle. Sa première histoire est un échec, le poète est lamentable. Et toujours l'ombre de sa mère le ramène à son visage féminin, à sa fragilité, à son absence de virilité.
Le poète perd enfin sa virginité. La jeune fille est laide, il ne l'a jamais désirée avant et lui ment. Mais le poète se persuade que son amour pour elle n'en est que plus admirable. Le poète est jaloux de tout ce qui existe en dehors de lui dans la vie de la jeune fille, et la mère du poète est jalouse qu'il existe autre chose qu'elle et la poésie dans la vie de son fils.
Lorsque la vie qu'il a rêvée lui tend enfin les bras, il recule, ramené en un instant à son corps de petit garçon étouffé par une mère trop envahissante.
Même s'il tente de se persuader que son pauvre amour le rend plus grand, le poète est malheureux. Incapable de concession, et convaincu de son devoir, il sacrifie la jeune fille sur l'autel de la loyauté à la patrie. Et alors que Jaromil se croit libéré par l'accomplissement de sa destinée, le spectre de l'humiliation s'abat sur lui, et avec lui, la maladie, et rapidement la mort.
Pendant 300 pages, j'ai eu la sensation étrange que Kundera s'adressait à quelqu'un d'autre que moi, de n'être pas concerné par ce qui se passait. Tout en trouvant que l'écriture était belle, et en reconnaissant la qualité du roman, j'avais le sentiment étrange que quelque chose clochait et que Kundera se trompait, me trompait. Et puis finalement, lorsqu'à la fin du livre, il m'a proposé de changer de point de vue, et m'a permis de réaliser que j'avais tout faux, et qu'il le savait depuis le début, quand il m'a ouvert les yeux, j'ai compris. J'ai compris que je l'avais autorisé à me voiler les yeux en m'appliquant les oeillères que Jaromil s'était imposé, j'ai compris que j'avais obéi aux besoins du roman, en adoptant la vision du poète et en me laissant guider par ses émotions, au point d'être aussi aveugle que lui sur la réalité des choses.
Kundera ne m'avait pas trompée, il m'avait fait jouer dans son jeu. J'étais devenue le poète.