Emile Coué l'oublié
Son premier roman retraçait le parcours de Franz Reichelt, un inventeur si follement accroché à ses rêves qu’il mourait en 1912 de n’avoir su renoncer à tester contre toute raison son improbable...
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le 30 sept. 2024
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Qu'il me semble déjà loin le temps où j'ai repris la lecture, et cela, par le biais d'ouvrages de développement personnel. Atomic Habits (2018) de James Clear, Influence et manipulation (1990) de Robert Cialdini ou encore Les 48 lois du pouvoirs (1998) de Robert Green … Tant d'ouvrages dits de "gourous" qui promettaient la formule miracle aux problèmes de la vie. C'était il y a à peine quatre ans. Que m'ont-ils réellement apporté si ce n'est quelques banalités et autres lieux communs ? Qu'en ai-je retenu en fin de compte ?
Spoiler : Pas grand chose.
A l'heure actuelle, j'en aurais presque honte. Pourtant je ne crois pas mentir ici en disant qu'ils sont parvenus à faire revivre quelque chose en moi, quelque chose ô combien précieux, celui de m'avoir redonné goût à la lecture. Ils m'ont (re)transmis cette petite philosophie du lecteur, ce petit effort quotidien pour tendre vers le mieux. Certes, c'était de la littérature somme toute médiocre, mais c'était de la lecture.
C'est d'ailleurs ce que je retiens personnellement de la Méthode Coué décrite par l'auteur dans le livre que je m'apprête à analyser : un petit effort pour un petit espoir, des "efforts touchants".
La Vie meilleure (2024) d'Etienne Kern (EK) est une biographie consacrée à Emile Coué (EC), un pharmacien français, précurseur du développement personnel, à l'origine d'une méthode dite "miracle" basée sur l'autosuggestion, duquel sa détermination n'a égale que sa tendresse envers autrui. Dans ce portrait à la fois pudique et touchant, bien loin de toute mièvrerie ou sentimentalisme facile, l'auteur français contemporain mêle parmi les moments intimes de la vie d'EC des éléments de la sienne. Il s'agit là d'une habile manière de se dévoiler à son lecteur, à travers la figure de l'altérité. En ce sens-là, l'œuvre de Kern prend ses racines dans le mouvement littéraire contemporain des écritures de soi français, sur les pas d'Annie Ernaux ou encore d'Emmanuel Carrère, deux écrivains tendant vers l'intime et l'universel.
Emile Coué était un humaniste, un véritable "professeur d'optimisme" comme l'affirme Kern lui-même (p.98). Si aujourd'hui son nom pourrait faire rire, il s'agissait bien là d'un homme profondément sincère dans sa démarche, bien loin de certains charlatans de développement personnel actuels, qui cherchait à "rendre la joie" (p.168) et qui était véritablement soucieux de "ses malades" (p.153). Celui-ci était convaincu d'avoir trouvé la formule miracle à tous les maux du monde par le seul biais de soi et de son imagination. En réalité, cette formule magique apparaît comme un effet placebo, un "simple" acte de résilience face à la dureté du monde, c'est qu'affirme Dominique à Kern : "la méthode ne guérit pas, elle accompagne, elle aide à surmonter" (p.119). Le passage de l'Après-Guerre est particulièrement révélateur de cela. Kern montre que les gens n'avaient pas besoin d'être guéris, ils avaient simplement besoin de croire à un espoir, ils désiraient une aide qui leur permettrait de surmonter le drame. Et comme le dit l'auteur lui-même, "c'est un acte de courage déjà, que d'essayer d'y croire" (p.137). Malgré la simplicité et l'absurdité apparentes de la démarche, les efforts mis en place par Coué pour aider le plus grand nombre force l'admiration et la compassion envers le personnage, ce qui se ressent évidemment dans les propos de l'auteur.
Tout en reconnaissant les limites de la Méthode à plusieurs reprises (les termes employés sont en effet parfois péjoratifs : "magouille", "roublardise", "ruse"), EK ne semble jamais porter de jugements malveillants ou accusateurs envers le pharmacien français. Bien au contraire, celui-ci témoigne à de nombreuses reprises aussi bien sa fascination que son admiration pour Coué, allant jusqu'à parfois le désigner par son propre prénom, tel un vieil ami (p.111). C'est justement cette "profonde tendresse" de l'auteur envers Emile (p.119) qui rend l'ouvrage profondément touchant et sincère. Finalement, ce qui intéresse Kern à travers la figure de Coué, ce sont ses moments de profonde vulnérabilité (Ex : la recherche de la fierté de son père, les doutes après la mort de Porine, les regrets après le succès aux USA), affirmant qu'Emile est pareil à un perdant, et que "les perdants le fascinent" (p.121). Les perdants, ça force parfois l'admiration.
Malgré toute sa volonté pour faire le bien autour de lui, la Méthode finira par se retourner contre Coué. Ce dernier deviendra ce qu'il a toujours redouté, à savoir : une icône marketing, une star acclamée à l'internationale ou encore un véritable gourou catalyseur des douleurs qui incombent les plus démunis. C'est dans ce profond moment de désarroi, symbolisant son d'échec, que Coué réapprendra avec difficulté à se connaître mais aussi à prendre conscience de ce qui l'anime réellement au fond de lui (p.170). "Connais-toi, toi-même" disait Socrate.
Le style de la prose d'EK est à l'image de l'histoire qui est décrite ici. Il s'agit là d'une écriture de l'intime et de la pudeur ponctuée de phrases généralement très courtes. L'emphase est mise avant tout sur la tendresse, celle d'Emile, c'est à dire sur les petits gestes délicats, les regards doux ou encore les silences, qui viennent tout dire de l'homme : "ses mots, son regard, son beau sourire". La mort du personnage est représentative de cela, car ne trempant dans aucun pathos ni sentimentalisme, seul un "c'est passé" suffit (p.177).
C'était vraiment un très beau livre, d'une "infinie douceur", parfait à lire à la fin d'un été avant la rentrée. Celui-ci ne vous secouera pas, il ne vous bouleversera pas non plus. Il ne vous fera pas pleurer à chaudes larmes, ni remettra en question votre vision du monde. Peut être vous donnera-t-il simplement du baume au cœur, un petit sourire, un peu de réconfort, en bref un peu de joie de vivre. Et ça, c'est la chose la plus belle et la plus pure que l'art pourra vous donner. C'est donc avec un profond optimisme que je vous encourage à lire ce qui constitue sans nulle doute le plus bel ouvrage de développement personnel paru à ce jour, "un roman d'amour", le plus authentique et le plus humain, qui saura, je l'espère, pour vous comme pour moi, vous rendre la vie meilleure.
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Créée
le 7 sept. 2024
Modifiée
le 8 sept. 2024
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