Roman puzzle
Imaginez un échiquier. Maintenant imaginez un cavalier placé sur n'importe quelle case de l'échiquier. Et maintenant essayez de passer sur toutes les cases de l'échiquier sans repasser deux fois par...
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le 25 juin 2010
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En exergue, Jules Verne est cité… "Regarde de tous tes yeux, regarde" Puis Paul Klee ouvre le préambule… "L’œil suit les chemins qui lui ont été ménagés dans l’œuvre."… Deux citations dialoguant entre elles… L’œil de Perec qui voit au-delà du plan en coupe de son immeuble au numéro 11 d’une rue imaginaire, dans le 17e arrondissement. Perec, se noyant sous ses propres règles, luttant contre elles pour tracer les chemins que le lecteur et lui suivront pendant 600 pages à travers les appartements, et à travers ces autres lieux et ces autres époques qui y 'vivent', pour n’arriver qu’à un instant unique et précis. Perec qui gagne. Et le lecteur aussi par la même occasion.
"Les escaliers pour lui, c’était, à chaque étage, un souvenir, une émotion, quelque chose de suranné et d’impalpable, quelque chose qui palpitait quelque part, à la flamme vacillante de sa mémoire : un geste, un parfum, un bruit, un miroitement, une jeune femme qui chantait des airs d’opéra en s’accompagnant au piano, un cliquettement malhabile de machine à écrire, une odeur tenace de crésyl, une clameur, un cri, un brouhaha, un froufroutement de soies et de fourrures, un miaulement plaintif derrière une porte, des coups frappés contre des cloisons, des tangos ressassés sur des phonographes chuintants ou, au sixième droite, le ronflement obstiné de la scie sauteuse de Gaspard Winckler auquel trois étages plus bas, au troisième gauche, ne continuait à répondre qu’un insupportable silence."
Tu passeras alors d’une pièce à l’autre... tu ne sortiras pas de certaines... parfois, tu t’immisceras dans un tableau, dans un livre, dans un catalogue, dans un souvenir, dans un rêve, et souvent dans une vie. Tu suivras avec ton endurance de lecteur cette tentative d’épuisement de l’inépuisable réalité, à travers une partie d’échec disputé entre l’auteur et lui-même (et peut-être la littérature). Et tu verras ces livres qui s’ajoutent, comme des pièces au puzzle, dépassant l’œuvre elle-même, au sein d'une autoréférentialité à peine maquillée: Un homme qui dort… Les choses… Un cabinet d’amateur… W ou le souvenir d’enfance…
La Vie mode d’emploi est un immeuble.
La Vie mode d’emploi est un puzzle.
La Vie mode d’emploi est un algorithme littéraire.
La Vie mode d’emploi est une prouesse technique.
La Vie mode d’emploi est un TARDIS (’cos it's bigger on the inside)
La Vie mode d’emploi est l’émergence de la liberté dans la contrainte.
La Vie mode d’emploi est l’addition, l’intersection des œuvres de Perec.
La Vie mode d’emploi est une tentative d’épuisement de l’inépuisable réalité.
La Vie mode d’emploi est un piège qui se referme.
La Vie mode d’emploi est un chef-d’œuvre.
Mais la Vie mode d’emploi n’est pas un mode d’emploi et il n’est surtout pas un livre à côté duquel on peut passer.
La Vie mode d’emploi est tellement, tellement de choses qu’il pourrait en effet nous épuiser, avoir raison de nous, si on ne trouvait pas la force d’en redemander encore et encore. Et nous voilà frustrés de ne pas avoir droit à plus d’histoires, celles par exemple se cachant derrière tel ou tel objet trouvé dans les escaliers. Et oui, une histoire, ça peut être une ligne comme 10 pages.
"Je cherche en même temps l’éternel et l’éphémère." Et peut-être que l’éternité n’est simplement qu’une route pavée d’histoires éphémères toutes reliées les unes aux autres à travers six degrés de séparation. Toutes les pièces d’un monumental puzzle où le pire cauchemar resterait celui de la pièce manquante et du trou noir qu'elle dessine.
"Ce sera quelque chose comme un souvenir pétrifié, comme un de ces tableaux de Magritte où l’on ne sait pas très bien si c’est la pierre qui est devenue vivante ou si c’est la vie qui s’est momifiée, quelque chose comme une image fixée une fois pour toutes, indélébile."
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le 5 mars 2014
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