C'est un drôle de livre qui fait naître des émotions contradictoires et nourrit une réflexion originale.
C'est l'histoire d'une fille entre ses 10 et 15 ans qui fait l'expérience de la brutalité et de la méchanceté des hommes avec son père (chasseur, alcoolique, battant sa femme) et son frère (qui était son ange de petit frère souriant et devient peu à peu l'adolescent vicieux, violent et taciturne sous l'emprise du père). Le livre pose alors la question d'identifier à quel moment un enfant heureux et souriant devient un homme méchant, frustre, jubilant du malheur des autres, violent et cachant ses émotions? quelle est la source de ce phénomène ? Est-il réversible ? Est-il génétique ou est-il le résultat de l'éducation ou de certaines structures sociales ?
Et symétriquement, le roman pose en creux une autre question avec le personnage de la mère soumise, rasant les murs et battue par le père: quand une jeune fille curieuse et pleine de vie accepte-t-elle de se soumettre à cette violence masculine? Quand et pourquoi abandonne-t-elle tout esprit critique, toute joie et tout espoir ? Comment une femme peut-elle "rater sa vie" à ce point comme le demande la petite fille à sa mère.
Le style retranscrit la naïveté de l'enfance et la colère de l'adolescence mais sans être pénible à lire ou caricatural. La voix de la narratrice est pleine de fraîcheur, de candeur et de brutalité sans pour autant être gnangnan ou illisible. C'est parfois même amusant.
Tout cela se passe dans une banlieue pavillonnaire terne où se déroulent quelques événements étranges et des coïncidences un peu grossières mais finalement la crédibilité du récit n'est pas ce qui compte ici.
Entre ce style faussement enfantin (mais très travaillé) et cet univers de conte (mais très proche de notre quotidien), on pourrait penser au Petit Prince. Mais au lieu de s'attarder sur les côtés lumineux des personnages, le roman s’intéresse à la part obscures des hommes et à l'immense force intérieure qu'il faut pour résister.