"Genre mal écrit comme l'élégance doit avoir l'air mal habillée"
Curieux bal, que celui-ci. Radiguet - et Cocteau ? - nous peint un portrait de l'aristocratie, des salons. Thème qui me fait forcément comparer "Le Bal" à "La Recherche" de Proust, à peine antérieure. Et bien sûr je compare avec "Le Diable au Corps". Je ne suis pas forcément une fan des mises en relations pas toujours très à propos avec d'autres œuvres mais cette fois je n'ai pu m'empêcher d'y penser, en lisant ce livre.
Le bal du Diable
L'histoire, si l'on regarde bien, est sensiblement la même. Un jeune homme plein de l'insouciance de sa jeunesse tombe amoureux d'une femme plus âgée et fortement mariée. Si Marthe semble immédiatement succomber au charme de François, Mahaut résistera à François - personnage différent, même prénom - dans la mesure où elle mettra toujours ses ressentis et réactions sur le compte d'autre chose que de l'amour, persuadée presque jusqu'au bout d'aimer son mari. "Le Diable" se situe dans l'action et la réaction, "Le Bal" dans l'analyse pas toujours correcte des sentiments des personnages par eux-mêmes.
Le contexte social est beaucoup plus présent et l'on sent que dans ce deuxième roman, qui se veut probablement aussi un portrait de l'aristocratie de l'époque, l'histoire d'amour est mise au second plan. La pureté est mise en avant et prend la place de la passion. En ressort une œuvre plus travaillée - plus retravaillée devrais-je dire - moins spontanée. Les personnages sont plus intéressants car plus développés et l'omniscience du narrateur apporte énormément à la description des caractères.
Le bal de la Recherche
Les œuvres sont quasi contemporaines, et Cocteau disait du roman de Radiguet qu'il était "plus beau que Proust et plus vrai que Balzac". Je n'ai pas lu Balzac, je ne me risquerai donc pas à aborder le sujet. Concernant "La Recherche", pour ce que j'en ai lu jusqu'à présent, c'est évidemment beaucoup plus dense et plus détaillé que le roman de Radiguet. Je ne parlerai pas de beauté, le terme ne me convient que très peu. Si le roman de Proust est plus riche et non dénué de cynisme et d'humour, celui de Radiguet fait mouche. Pour utiliser un terme fort anachronique, il y a plus de punchlines. On sourit plus régulièrement. Certains personnages sont assez proches dans leur absurdité, j'aurais tendance à rapprocher le comte d'Orgel d'une duchesse de Guermantes dans leur manière d'aborder le monde qui les entoure. Triant les "amis" sur le volet, séparant les cercles, valorisant l'esprit mais en ayant une définition variable.
Mahaut d'Orgel, effacée et ne servant qu'à mettre son mari en valeur semble d'ailleurs prendre le même rôle que le duc de Guermantes au niveau mondain. Elle ne prendra vie et d'intérêt que par celui que François lui porte, n'étant avant cela que la femme follement amoureuse qui n'avait d'yeux que pour son époux.
Le Bal de Thomas
Il semble que, si l’œuvre originale est bien de Radiguet, les nombreuses coupes et corrections font du roman qui nous est parvenu un objet particulier, dont l'on peut presque dire qu'il a été écrit à quatre mains. Cocteau apporta seul les dernières corrections après la mort de l'auteur. Ayant travaillé ensemble, on peut supposer qu'il a respecté le travail de celui-ci. On retrouve beaucoup de l'univers de "Thomas l'Imposteur" dans "Le Bal". Quant à savoir si c'est parce qu'ils ont été écrits en même temps ou si c'est parce que les deux auteurs se sont - trop - fortement influencés, difficile à dire. Radiguet semblait aimer le côté spontané de l'écriture, parlait d'un côté "mal" écrit que Cocteau se serait efforcé de corriger. L'effet final est parfois bizarre.
Le Bal de Nomé
En ressort une œuvre étrange, à laquelle j'ai trouvé moins de charme qu'au premier roman de Radiguet. Parfois trop elliptique, parfois un peu fouillis, j'ai peiné à m'y retrouver. La valse des sentiments, qui semblent toujours être induits malgré la volonté des personnages est globalement bien menée et l’œuvre est appréciable mais finalement un peu trop "sage" à mon goût, malgré les folies du comte d'Orgel.