N'ayant jamais lu Mathias Enard, je partais vierge de tout jugement, encouragé par des critiques positives et un titre absolument attractif. Un banquet ! Voilà qui me parle et qui rompt un peu avec la morosité de cette année pauvre en fêtes et autres bouffes, où l'idée même de banquet est impensable. Et je ne fus pas déçu : les quelques 60 pages centrales du roman racontent un banquet gargantuesque, démesuré, dionysiaque, roboratif à souhait, parfois écœurant. Un vrai morceau de littérature, une orgie de style, où des fossoyeurs des 4 coins de la France se réunissent pour manger, boire, oublier la Mort pendant une soirée, et où les orateurs se succèdent à la tribune, entre prises de position sur l'avenir de la Confrérie et mythes héroïques.


La première partie du roman prend la forme du journal de terrain d'un apprenti-anthropologue, ce qui permet à Enard de décrire avec l'œil du profane un territoire qu'il connaît bien, le marais poitevin, et par la même occasion, réhabiliter la ville de Niort attaquée par Houellebecq au début de l'année dernière. Sous le regard exotique de l'observateur extérieur, on suit les aventures d'un thésard prétentieux mais sincèrement intéressé par son sujet, la vie à la campagne au XXIème siècle. Les lecteurs familiers des sciences sociales et de la recherche trouveront là moult détails truculents et amusants sur la vie de chercheur : les passages où le jeune anthropologue raconte sa libido malmenée par la distance de sa copine sont aussi étonnants que drôles et bien écrits.


L'auteur réalise en réalité une véritable anthropologie historique du territoire. Les personnages sont brillamment décrits, crédibles, déjouant quelques clichés (le chercheur s'étonne que sa paysanne de logeuse, Mathilde, soit équipée en informatique de dernier cri), et très attachants. Le patron du Café-Pêche, le Maire-Fossoyeur, l'Idiot du village en lien avec des forces telluriques chamaniques plus profondes, le Prêtre, l'Artiste, les Anglais ... À travers un système de réincarnation, la Roue, Mathias Enard fait l'ethnologie des Deux-Sèvres : pas de Ségolène Royal, mais des sangliers, des histoires de village, des soldats de la Grande Guerre, des Maures ibériques, le cheval de Clovis ...


Sans misérabilisme ou étonnement pour l'exotisme d'un lieu comme celui-là, aussi éloigné de la vie parisienne que des images d'Épinal du JT de feu Jean-Pierre Pernaut, une France un peu oubliée, vieillotte, qui rappelle le bocage étudié par Jeanne Favret-Saada, où la sorcellerie et des forces profondes magiques sont encore vivaces, Enard propose un roman parfois drôle, touchant, avec un foisonnement de style impressionnant et bienvenu dans la littérature contemporaine.

antoinegrivel
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le 27 déc. 2020

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Antoine Grivel

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