Cette nouvelle traduction sous la plume de Laura Derajinski opte pour la reprise du titre original (The Diamond Bikini), que les précédentes transpositions avaient transformé en Fantasia chez les ploucs. À titre personnel, j'estime que cette prise de liberté fut salvatrice puisque l'intitulé est tout aussi représentatif de l'univers débridé dont le lecteur va être l'observateur. D'une, il conserve l'aspect cinglant du roman noir situé dans l'Amérique profonde. Et de deux, il est également raccord avec le ton employé car le narrateur est un petit garçon de 7 ans, à priori le dernier personnage qu'on attendrait aux premières loges d'un tel genre. C'est pourtant ce point-là qui donne au Bikini de diamants cette saveur acidulée.
Charles Williams joue à merveille de ce décalage entre les évènements relatés au travers de la compréhension (et l'imagination) d'un enfant et ce qu'en déduit le lecteur. Ce qui se traduit par un amusement continuel : on rit autant de la naïveté présumée du bambin que de l'attitude fourbe des adultes à son égard. Cette approche donne également une certaine légèreté à l'étalage de crimes et délits auxquels le petit Billy semble étranger tout en renforçant le cynisme de l'œuvre. C'est peu dire que la plupart des adultes dans ce livre sont aussi peu recommandables qu'une brochette de légumes assaisonnés de mort-au-rat. Le père ("Pop") est l'incarnation de l'escroc tranquille, tonton Finley est un illuminé obsédé par l'armageddon, la bande de policiers sont tous plus empotés les uns que les autres. Quant à l'oncle Sagamore, il est tellement doué dans la filouterie que c'est à se demander s'il ne serait pas du même sang que le shérif Nick Corey dans le chef-d'œuvre d'humour noir Pottsville, 1280 habitants écrit par Jim Thompson en 1964. De cette galerie d'esprits bien tordus, l'unique semblant d'espoir pour l'humanité (et Billy) provient de Mlle Harrington, pourtant loin d'être une enfant de chœur.
Le style est vif, Williams s'amusant beaucoup des contraintes qu'il transgresse sans préavis, laissant planer un doute sur son étrange narrateur. Le Bikini de Diamants n'a pas besoin de beaucoup de pages pour cartographier ce microcosme décadent régi par l'avarice et le populisme. Encore une fois, la grande réussite du livre est de rendre la charge implicite sans verser dans le réquisitoire. Venez vous offrir un petit moment de fantaisie chez les bouseux, ils n'ont pas leur pareil pour marquer votre séjour.