Je ne peux pas dire que Le bloc soit une lecture récente. Je m’étais promis d’en parler sur ce blog, tant je reste impressionné par ce roman de Jérôme Leroy, auteur dont j’ai par ailleurs beaucoup apprécié Monnaie bleue.
Mais voilà, procrastination, recherche du mot juste et de l’accroche sincère, j’ai repoussé à maintes reprises ce compte-rendu. Sans doute le temps nécessaire pour digérer le propos de l’auteur et laisser infuser mes impressions. Car Le Bloc me semble être un roman s’adressant à la fois au cœur et à la tête, entre nostalgie, celle du monde d’avant, fatalisme et secret espoir que les choses se dérouleront autrement. Envie de croire encore à l’avenir. Que toutes les cartes ne sont pas jouées et qu’il suffit d’un rien pour que la situation bascule du côté de la générosité et de l’entraide. Pour qu’un sursaut citoyen vienne bouleverser le déroulement inexorable des événements, du moins est-ce ainsi que les médias nous le présentent. Mais en attendant, comme c’est dur, on boit un coup.
À la différence de nombreux autres commentateurs, je ne considère pas Le Bloc comme un roman contre le Front national. Certes, entre le parti lepeniste et le Bloc patriotique, les allusions et parallèles, les similitudes et proximités coulent de source, limpides comme cette encre dont on fait les satires. Mais, Jérôme Leroy ne joue pas sur le registre de la dénonciation. Il n’écrit ni un brûlot, ni un pamphlet instrumentalisant la bonne conscience de gauche qui, au passage, n’est pas épargnée. Il se contente, et c’est déjà beaucoup, de sonder la psyché des militants d’un parti d’extrême-droite, interrogeant le lecteur avec une question essentielle : qu’est-ce qui pousse un individu à opter pour la haine et le fascisme ?
« Finalement, tu es devenu fasciste à cause d’un sexe de fille. »
Le temps d’une nuit, on suit les souvenirs d’Antoine et de Stanko. Deux hommes clés au cœur des rouages du Bloc patriotique. Mais Stanko est désormais de trop. Et même si dans le fond les idées du bloc n’ont pas changé d’un iota, on se doit pourtant de l’éliminer, lui l’exécuteur des basses œuvres. Le parti brigue la respectabilité, synonyme de responsabilité, et ne peut guère faire l’impasse sur sa propre interprétation de la nuit des longs couteaux. Adoptant un point de vue intimiste,Jérôme Leroy s’immerge dans la tête d’Antoine et dans celle de Stanko. L’un, facho des villes, cultivé et bonne plume, appelé à décrocher un ministère ou un autre poste d’importance, du fait de son mariage avec la fille du vieux, héritière et présidente du parti. L’autre, facho des friches industrielles, petite brute déclassée, nourrit de haine et de violence, cheville ouvrière dans les coulisses de l’appareil. On s’attache à leurs racines, bourgeoises et prolétaires, à leur parcours, à leurs motivations et à leurs sentiments. Ainsi, entre « tu » et « je », on survole trente années de vie politique française. Trente années de coups tordus, d’échecs, de trahisons et de succès, avec en ligne de mire l’accession au pouvoir pour le parti d’extrême-droite. Loin de la bête immonde, trop souvent mise en scène lorsqu’il s’agit de dénoncer à gros traits, Antoine et Stanko apparaissent banalement humains dans leur part d’ombre. De ce bois dont on fait les monstres. Et leur proximité avec nous-même peut troubler.
Unité de temps, unité de lieu, unité d’action, toutes les composantes de la tragédie classique concourent vers le même dénouement. On sait qui doit mourir. On sait qui va mourir. Sans doute, Jérôme Leroy va-t-il un tantinet trop loin dans la dramaturgie. Le final et la sortie de scène de Stanko peuvent paraître sur-joués. En dépit de ce léger bémol, très personnel je le reconnais, Le Bloc atteint toutefois sa cible : émouvoir le lecteur avec un monceau de saloperies.
Additif : Il me reste à lire Fasciste de Thierry Marignac, un roman ayant fait grand bruit à l’époque dans le landerneau. Les temps changent…
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