Dans un paysage littéraire français trop volontiers voué à l'autofiction (les meilleurs romans de ces derniers mois en témoignent peu ou prou, de Reinhardt à Salvayre en passant par Carrère et Foenkinos), un grand merci à François Roux de respirer "large" dans son Bonheur national brut, en écrivant le roman d'une génération, née aux rêves de grandeur au soir d'une élection présidentielle de 81, et totalement désillusionnée 31 ans plus tard, lors de l'arrivée au pouvoir d'un nouveau candidat de gauche. D'un François à un autre, le temps avait fait son oeuvre et usé jusqu'à la trame l'espérance d'une vie heureuse et accomplie. Le bonheur justement, quelle est donc cette bête curieuse, si ardemment recherchée ? "Depuis trente ans, nous naviguions à vue, perplexes, indécis, vers un but que ce monde, lui-même déboussolé, nous a clairement désigné en le survendant : être heureux malgré tout et son corollaire -réussir sa vie." Le livre de François Roux est extrêmement bien agencé : deux parties historiques distinctes (de 1981 à 1984 puis de 2009 à 2012, correspondant aux 20 ans puis à la pré-cinquantaine des ses protagonistes), des racines fortes en Bretagne, quatre jeunes garçons "dans le vent" aux caractères et ambitions différents mais qui, à l'exception d'un seul, vont devenir "quelqu'un", en politique, dans le monde de l'art et dans celui de l'entreprise, succès professionnels pourtant fragiles et accompagnés de failles terribles. Le bonheur national brut n'est pas loin de devenir trop insistant dans sa démonstration que l'argent et la notoriété ne font pas le bonheur (on s'en doutait déjà un peu) mais l'auteur a su donner de la profondeur à la psychologie de ses personnages et son style, coulé dans un classicisme qui ne la ramène pas, crée un sentiment de proximité avec son quartet breton, humanisant chaque personnage dans sa recherche de paix intérieure et d'équilibre. Le narrateur, le quatrième homme, en quelque sorte, à la vie plus excentrée et moins "performante", a pour rôle de fédérer les liens entre ces amis de lycée. François Roux est moins convaincant en la matière, le livre étant finalement plus la somme de destins individuels, certes parallèles, qu'une oeuvre chorale. Ici, pas ou peu de scènes de groupes comme dans les meilleures comédies italiennes (Nous nous sommes tant aimés, Mes chers amis), références en la matière. Paradoxalement, d'ailleurs, le caractère le plus remarquable du livre est celui d'Alice, pourtant le moins "exploité". Mais n'est-ce pas son mystère qui la rend ainsi passionnante ?
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