Dernier de sa lignée, le jeune Baron de Sigognac se morfond dans son château à l'abandon. Lorsque par une nuit d'hiver, une troupe de théâtre frappe à sa porte et requiert un abri pour se sustenter et dormir au chaud. Le Baron les accueille, ravi de cette compagnie qui vient chambouler sa langueur. Le lendemain, les comédiens lui proposent de se joindre à eux, car les bras vigoureux sont toujours les bienvenus. Déjà épris d'Isabelle, la virginale ingénue de la bande, le jeune Baron ne met pas longtemps à accepter l’aventure.
Pour bien entrer dans un roman, les premières pages doivent attraper le lecteur par le col, l’emmener dans son monde et l’ébahir par le spectacle. La porte du Capitaine Fracasse date du XIXème siècle. Les gonds rouillés crissent, le bois racle le sol, croulant sous le poids des ans. Le premier chapitre de l’ouvrage est une véritable épreuve initiatique. Chaque phrase requiert la plus grande concentration, chaque paragraphe est une bataille à remporter, chaque page un somnifère ingurgité. Idéal pour les insomniaques, l’introduction est en fait une mise à niveau, un stade qu’il faut franchir, un pallier à atteindre pour parcourir sereinement la suite.
Dès le début la beauté formelle saisit, la construction épate. Du domaine en jachère jusqu’au Baron buvant sa soupe dans son castel en ruine, le zoom opéré abonde en images picaresques et préfigure une richesse lexicale extraordinaire. Théophile Gautier au sommet de son art pour l’art parvient à glisser la quasi-totalité du vocable français dans un livre. Les métaphores jaillissent de partout, l’auteur croque, caricature, joue avec les comédiens, met en scène sa pièce sous la lumière de ses traits d’esprit et de ses bons mots. L’histoire, qui s’apparente à un vaudeville étiré, est le contrepoids léger à l’énormité de la leçon formelle accordé par le parnassien Gautier.
Truculence, verbe jouisseur, théâtre dans le roman, le Capitaine Fracasse est bien plus encore. Il peine à se donner, mais une fois lancé, le lecteur goûte à l’ambroisie.