Le cas (signé Pennac et non Buzzati)

Avec la saga Malaussène, le plaisir d’écrire de Daniel Pennac transpire si bien qu’on ne s’étonne pas qu’il y revienne encore et encore. Avec Ils m’ont menti premier épisode d’une série d’ores et déjà intitulée à juste titre Le cas Malaussène l’écrivain présente une intrigue contemporaine, ce qui fait que les « enfants » Malaussène (la jeune génération) sont désormais adultes et appartiennent à la génération des 20-30 ans de maintenant, avec leurs mentalités et comportements. Ce sont donc des nomades du monde qui communiquent sur skype et considèrent que le passage par une ONG est quasiment indispensable pour constituer un CV digne de ce nom. Toujours bouc-émissaire à ses heures et critiqueur impénitent des mœurs de son époque, Benjamin s’affiche résistant, parfois un peu naïf. Il travaille toujours aux éditions du Talion, sous la férule de la reine Zabo. Celle-ci a senti venir le goût du public pour les artisans de la vérité vraie ! Ces adeptes de l’écrit comme succédané de thérapie familiale, Malaussène les tient en piètre estime, pas seulement parce que sa tâche du moment aux éditions du Talion consiste à veiller à la protection de l’un d’entre eux. Il considère surtout que placer la vérité au rang de valeur suprême est une offense à la littérature. De plus, cette manie de balancer sa vérité sous forme d’un bouquin (objet public qui peut provoquer l’effet d’une bombe) peut se révéler malsain. Certes les tirages profitent aux éditeurs, mais les ennuis vont avec, puisque les révélations d’ordre familial réveillent beaucoup de rancœurs. En gros, Malaussène est un partisan du dicton qui affirme qu’il faut laver son linge sale en famille. En ce qui concerne le domaine familial, si le temps a passé et que les derniers rejetons ont grandi, le chien Julius lui n’a pas changé grâce à un habile subterfuge comme Pennac adore en concocter.


La manière Pennac avec la saga Malaussène consista à placer Benjamin au centre d’une intrigue qui progresse à l’aide d’une affaire policière. Il ne déroge pas à cette règle, ce qui lui permet de rappeler certains souvenirs des épisodes précédents. Si le cœur de l’intrigue ne se révèle que lentement, Pennac en profite pour s’amuser avec un personnage secondaire qui brasse des affaires dans le monde du football. Dans le même style, on a droit à une scène relatant une émission de télévision avec un direct sur le plateau, Pennac en profite pour faire sentir ce qu’il déteste dans les manières racoleuses de rameuter le public un peu naïf.


Dans la manière Pennac, on connaît sa façon d’agrémenter les dialogues d’échanges blancs (ça peut agacer pour cause de remplissage, ça crée de toute façon un rythme inimitable), qu’il remplace intelligemment ici par un décompte des secondes dans le dialogue entre la juge Talvern (dont l’origine surprendra) et le dénommé Balestro qui se dit scout (soit recruteur sillonnant le pays à la recherche de talents en herbe) et non agent. Elle l’a convoqué pour le cuisiner sur ses pratiques vis-à-vis des très jeunes footballeurs doués. Extrait :


" Talvern : Et ?
1, 2, 3
Balestro : Et on contacte la famille du gamin.
Talvern : A quelles fins ?
1, 2, 3, 4
Balestro : Pour voir si les parents seraient intéressés à nous le confier.
Talvern : Vous le confier ? Qui ça nous ? Qu’entendez-vous par là ?
1, 2
Balsetro : Enfin, le confier au club, quoi, pour la formation, vous savez, foot et scolarité, ce genre de…
Talvern : Qui vous paie pour ce travail ?
Balestro : Quand on est scout ?
Talvern : Oui.
Balestro : C’est le club. C’est le club qui nous paie. Le club pour qui on bosse… pour qui on travaille, je veux dire. On est salarié, quoi.
Talvern : Êtes-vous payé en fonction du nombre de jeunes joueurs que vous recrutez ?
Balestro : Pas du tout, non. Le scout est payé à taux fixe. Il a un salaire. De toute façon, on peut pas être payé pour le recrutement d’un mineur. Ce serait un délit.
Talvern : Merci pour cette précision, monsieur Balestro. Et l’agent ?
1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 » etc.


L’intrigue se noue autour de l’enlèvement d’un dénommé Georges Lapietà, qui est un affairiste fortuné et non une œuvre d’art à sujet religieux. Pennac use de son goût pour les situations inattendues et il montre encore une fois sa science du langage qui lui permet de faire sentir les situations comme peu. Il n’hésite pas à faire des phrases sans verbe ou en un seul mot par exemple, pour imprimer un rythme personnel.


Un roman agréable donc, avec de multiples péripéties et un dénouement à surprise, que je trouve néanmoins inférieur aux 4 premiers de la saga Malaussène. Si Pennac adore son personnage et peut se targuer de nous transmettre cet engouement, il exploite un filon où, sans tourner en rond, il évolue toujours dans le même registre. Son but est avant tout d’amuser et intriguer en évoquant les travers de notre société, notamment les comportements des uns et des autres. Il fait de Benjamin Malaussène un double de lui-même et va jusqu’à lui accorder le bénéfice du doute lorsqu’il commet une maladresse en donnant raison aux kidnappeurs. Dans ces conditions, il peut tout se permettre. A cette réserve près, les valeurs que défend Pennac par l’intermédiaire de son personnage fétiche sont irréprochables.

Electron
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le 12 avr. 2017

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