Tromper Dieu, le Diable, et ses propres démons...

J'ai absolument adoré ce roman tout à fait extraordinaire, à l'écriture limpide et au ton faussement picaresque. Borges a comparé Léo Perutz à un " Kafka aventureux" et il est clair que l'on retrouve des points communs à l'écriture de ces deux praguois. Ce court roman de deux cent pages nous entraîne dans une intrigue passionnante, aux accents quasi-faustiens. Dans ses méandres , ce bouquin dispense aussi une sagesse et une réflexion sociale inattendue et ironique.


"Le Cavalier suédois" nous raconte l'histoire d'une imposture, celle dont est victime un gentilhomme dont le destin est piraté par le voleur qu'il rencontre alors qu'il est en route vers la guerre.Cette imposture n'est pas d'ailleurs que le fruit de la malice du voleur mais celui, plus profond d'une rencontre faustienne entre les deux personnages et un étrange meunier, dont on ne sait s'il est vivant ou mort, diable ou ange et dont le bizarre manège n'est pas sans rappeler le Passeur des Enfers. Peut-on tromper Charon? Peut-on forcer son destin, semble se demander Léo Perutz.


Le roman regorge de surprises, de faits d'armes et de surprises, et son héros maléfique nous rappelle un peu un robin des bois ou un zorro pragmatique tout autant que romantique. Mais il n'est pas question que d’aventures. En effet le roman baigne dans un contexte social étonnant, où s'inversent les valeurs de la bonne société : les gentilhommes s'appauvrissent, les gueux s'enrichissent, le travail consciencieux est récompensé. Son héros, qu'on découvre ingénieur agricole, artisan émérite, et sidérurgiste qualifié prospère par le truchement de sa ruse et de son savoir-faire, en opposition avec la hargne et l'ignorance des hobereaux traditionnels. Il y a certes une morale cachée derrière l'ascension sociale (et usurpée) de ce manant, en même temps que le portrait d'un certain capitalisme naissant .
Le renversement des valeurs s’applique aussi à l'Eglise, présentée dans toute sa nocivité hypocrite de l'époque, et l'on est tenté d’applaudir ces "brigands de dieu" qui osent , sous la houlette du héros, s'attaquer enfin à l'argent engrangé par les prêtres. Et que dire de cet étonnant épisode onirique où notre héros se voit juger par Dieu et ses anges eux-mêmes?


Le héros du "Cavalier suédois" n'a pas de nom, il sera le voleur, le brigand de dieu, le capitaine, "l'homme sans nom" et pourtant il s'appelle Christian. Et peut-être sera-t-il plus Christian que l'homme dont il a usurpé l'identité. Le jeu de l'imposture est superbement joué ici, et l'on ne peut qu'admirer la ruse avec laquelle Perutz mène sa cryptique barque pour réparer et dénouer les destins qu'il a emmêlés. Le livre commence en effet sur une énigme quasi-fantastique, une double personnalité, et la résolution de cette énigme est un plaisir extraordinaire.


Bon j'abrège car il y a tellement à dire sur ce livre. Sachez que sa lecture est aussi fluide qu'elle est passionnante et unique. Un livre hors des entiers battus que je vous recommande !

nostromo
9
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Arrêtez tout et lisez-moi ce truc... :-), Mes étagères se remplissent , Ikea est content... et Mes lectures de 2015

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le 3 nov. 2015

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nostromo

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8
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